La proposition d’hier s’inspire de Platonov, vous vous en doutez. Cette pièce a été écrite par Tchekov alors qu’il n’avait que 18 ans… c’est donc l’âge que vous devrez avoir dans votre tête en écrivant ! mais si, c’est pas si loin !
Il s’agit de décrire les agissements d’un Platonov d’aujourd’hui, c’est à dire d’un personnage, à qui vous donnerez un nom, qui sera sans réelle volonté, sans intention, mais attirera à lui tous ceux qui le croisent, hommes et femmes confondus. Ce jeune homme fascine son entourage alors que lui-même se dégoûte et s’auto-détruit. Il s’agit de décrire les actions de ce personnage, ce “centre vide”, sans le juger, à la troisième personne. Vous pouvez enchaîner les événements sans forcément suivre l’ordre chronologique.
Mathilde
Chantal
LE P’TIT JULOT
Il a réussi à se faire virer de l’école alors qu’il était le premier de sa classe, tu le crois ça ?
Tu m’étonnes ! Il peut pas faire deux phrases sans se moquer du monde.
Pourtant, rien que de le voir dans la rue, ça me retourne l’estomac. Quelle allure. Beau mec, beau parleur et un regard …
L’autre fois, il m’a proposé de prendre un verre.
Je voulais fuir.
Je sais qu’il est attirant, blagueur, une répartie à vous couper le souffle, mais je veux pas tomber dans le piège.
Bien sûr, j’y ai été mais je me suis dit : « attention au chant des sirènes ».
Eh bien imagine toi, il m’a fait des confidences, sur les filles, sur son enfance, sur ses conneries de gamin. Ca marche toujours les conneries de gamin avec les filles.
En ce moment, il est avec quatre filles qui sont raides dingues de lui. Il ne comprend pas ce qu’elles lui trouvent. Il peut pas s’en empêcher. Il craque.
Il les aime toutes.
J’ai fait la blasée !
« – mais comment tu t’organises ? ».
Il s’organise. Il veut pas leur faire de peine, alors il jongle. Il ment un peu, peut-être même encore plus.
Le pire, c’est que je crois pas que c’est du bluff de dragueur. On a bu un coup, puis deux , il m’a parlé comme à un pote, ses cheveux légèrement ondulés sur son grand front, ses yeux dans le vague.
Puis il a repris son air triste.
Ca l’emmerde d’avoir été viré de l’école, il faut qu’il rembourse.
Il a déconné qu’il dit.
Puis il est retourné à sa voiture bourré. Il s’est retourné vers moi et m’a dit en rigolant « t’inquiète, elle connait le chemin. »
L’autre fois, il est même passé à la télé pour une émission de télé réalité (tu parles, avec sa belle gueule !). Tu vas pas me croire, il a été arrêté en état d’ivresse et les flics l’ont pas emmerdé parce qu’ils l’ont reconnu, il lui ont demandé un autographe !
Il déambule sans but.
Il a des potes qui le tirent vers le bas.
Avec son humour, il m’a dit : « t’inquiète, je vais me reconvertir dans la cuisine, ça marche en ce moment, je ferais du poisson, tiens, de la morue, ça me fera marée. Je ferais du bar ou du loup puis si je monte à Paris je ferais du loubard ! »
Il peut pas s’en empêcher.
Il fait le clown triste.
Quand il a bu, il est tendre. Ca attire mais on voit bien qu’il y a quelque chose de moche quelque part.
C’est dans son regard.
Emmanuelle
Il avait fallu l’attendre.
Il revient d’un reportage que tout le monde trouve déjà passionnant.
Il avait dit qu’il ne faudrait pas l’attendre, mais il arrive à peine le repas commencé…
Il se met à table, commence à parler. Parler, parler pour qu’on l’écoute, parler pour se persuader de l’intérêt de ses paroles, parler pour s’écouter parler.
En parlant, il commence à se servir de vin. Un verre, puis un deuxième car il ne se rend même pas compte qu’il a bu le premier.
Il ingurgite tout ce qu’on lui sert dans son assiette, puis il se ressert car il ne se rend même pas compte qu’il a déjà fini. Ensuite, il se remet à parler, à étaler sa science, persuadé que chacun autour de la table boit ses paroles sans concession.
Il est là et on l’écoute. Rien d’autre n’a d’importance. Pas même le goût de ce qu’il engouffre entre chaque mot.
Il attend qu’on s’intéresse à lui, à son travail de photographe, et finalement, il parle déjà du prochain reportage, du prochain voyage. Et personne d’autre que sa sœur ne perçoit l’angoisse et l’inquiétude de ce prochain départ. Chacun ne voit qu’exotisme et originalité.
Et lui se raccroche à ce miroir des autres pour se persuader de l’intérêt de sa vie.
Il a toujours couru après cette vie qui lui échappe pour chercher à capturer avec son appareil photo, une réalité fulgurante.
Mais cette réalité lui a toujours échappé. Alors il se rattrape avec les mots et son auditoire toujours curieux de ses aventures en s’enorgueillant d’être écouté, pourtant miné par le doute.
Marie
Elle était belle comme une image. Des cheveux très longs que j’imaginais parfumés (je ne me suis jamais tenue assez proche d’elle pour le vérifier) grande et bien faite, un visage à la grave beauté masculine traversé de larges yeux. Une aisance sur de grandes jambes, une mélodie de corps, une grâce posée là au milieu de nous autres qui étions sans grâce et boutonneux.
Vive, légère, autoritaire, gaie, la voix ample et caressante, elle faisait la vie plus intense. Elle captivait. Les regards la poursuivaient quand elle faisait son entrée dans la classe en agitant ses beaux bras et nos cœurs tout neufs. Elle tenait sa cour dans la cour. C’est ce que disaient les jaloux.
Autour d’elle l’air coagulait quand elle criait bravement : » Qui m’aime me suive ! » Les garçons se défiaient du regard, les filles s’électrisaient, suspendaient leurs gestes, leurs mastications, leur mauvaise humeur ; tous aimantés, en attente du jeu, de la plaisanterie, de l’impertinence, du rire qui allaient suivre, entraînés puis aspirés dans son tourbillon.
Elle était si belle et décidée et péremptoire dans ses quinze ans. Elle voulait toujours qu’on la distrait, qu’on lui raconte une histoire, drôle, elle n’aimait que les histoires drôles qui lui permettaient de laisser perler son rire dans l’espace. Les garçons ça les rendait fous, les filles ça leur donnait des idées de rôles à venir, à tenir.
Elle disait aux filles : « Je me sens si laide » et on ne pouvait pas la croire.
Elle disait aux garçons : « Ne me regardez pas comme ça, pauvres cloches, vous voyez bien que tout est faux ! »
Ce n’était pas vrai, du moins pas encore.
Quand je l’ai revue beaucoup plus tard, elle a tout de suite rectifié la position, à collé un sourire sur son visage épaissi, éteint sa cigarette et caché son verre sous la table basse à ses pieds. Elle a aussi repoussé le type avachi à côté d’elle, l’œil mou, l’air vague. Il a dit : « Tu n’es vraiment pas sympa ce soir Michelle. »
Avec son prénom m’est revenue la chanson des Beatles qu’on fredonnait à l’époque partout : « Michelle my girl sont des mots qui vont très bien ensemble, très bien ensemble. »
Mathilde
(Lundi)
Félicien Rapeau contemplait dans le miroir son menton ombré de bleu avec une vague moue de dégoût. Il éprouvait une légère contrariété, un agacement naissant chaque matin à l’idée de tourner en vain la tête de droite à gauche sans jamais pouvoir apercevoir son profil.
(Mardi)
Il commençait sa journée sans savoir de quoi elle se nourrirait, entre quelles frontières inexplorées elle allait s’étendre. Pas de rendez-vous à honorer, pas d’horaires de travail à respecter ni de proche pour le contraindre ou l’entourer.
(Mercredi)
Les événements de la veille au soir lui revenaient peu à peu, des visages, des rires un peu flous traversaient sa mémoire sur la pointe des pieds. Il ne cherchait pas à en saisir les contours exacts, tous ces sourires, ces ondulations de femmes inconnues l’avaient flatté dans l’instant, sans lui laisser la moindre empreinte.
(Jeudi)
Devant l’étendue lisse de cette nouvelle journée il était à l’affût de son envie, du moindre sursaut de son désir intérieur, cherchant s’il allait sortir ou rester, tenter d’entrer en contact ou de se replier…plongé en lui-même il fut surpris de percevoir un mouvement dans la pièce voisine, un froissement de draps, un soupir qui l’obligèrent à se reconnecter davantage avec la soirée de la veille.
(Vendredi)
Il eut un second mouvement d’agacement à l’idée des questions qui n’allaient pas manquer de suivre, à l’idée de devoir se justifier ou se comporter de manière attendue… à l’idée de devoir retrouver un prénom qui ne lui revenait pas… toujours pas…
(Samedi)
Cette intrusion de la réalité dans son face à face rituel avec son miroir lui parut si violente qu’il sentit monter en lui une réelle nausée.
(Dimanche)
Ce vide d’une journée sans contours qui s’offrait à lui quelques instants plus tôt lui apparaissait désormais comme un paradis perdu, un paradis vague et indéfini qui allait devoir reculer et céder sous les assauts du monde.
Marie Christine
Est une jeune femme pulpeuse, gaie, enjouée, nous sommes tous pendus à ses lèvres : Paul, Joanna, Pierre, Marie, Christelle.
Sur le banc de la fac, tous déjà voulaient être à ses côtés,
A la remise du diplôme de Jean, elle était là ! Papillonnant, titillant les garçons, Astrid l’a jalousé.
Elle boit beaucoup trop, cela n’étonne pas Helena
Laurent me dit alors : « si elle vient vers moi ? ! ….. »
Muriel passe devant le miroir, plus belle dehors que dedans, murmure Eva !!!
Elle va en faire craquer des cœurs, normal ! Docteur anesthésiste… Future ! Future anesthésiste !!!!!!!!!! Moi si j’étais elle ?!! Eva s’arrête puis dit : « je déconne! »
Le temps est passé et a aujourd’hui une petite fille, et, recherche une nounou, Janine se propose, lui tend le verre de Wisky, Muriel boit cul sec, elle se dit bonne maison…
Cette première soirée est à la fois étrange et fascinante. Elle raconte quelques anecdotes croustillantes et à dormir debout, on se regarde…., elle, rit, rit, elle semble heureuse.
Elle nous relate son opération qu’elle a réalisé toute seule puis a refermé la plaie, seule sans aide ni la moindre anesthésie. Il fallait le faire sinon elle perdait la vie…
Janine sort du salon avec ce sourire en coin que chacun d’entre nous lui connait quand elle doute.
Son séjour humanitaire en Afrique et son voyage en 4×4 est tout aussi fascinant de mensonge mais si bien narré, nous sommes pendus à ses lèvres comme anesthésiés, je repense alors, au copain d’Eva !!!
Afin de rallier un autre camp d’aide, il fallait traverser le désert Nigérian, et là,
-« J’ai eu une envie présente » dit-elle, « je m’arrête, je regarde à droite, à gauche, personne, le coin idéal pour faire pipi ? !! Et là, des pierres précieuses apparaissent les unes après les autres, il y en avait des dizaines, des vertes, des bleus… Et alors… Alors ! Pas le droit de les prendre, les miradors… et, les militaires… armés jusqu’aux dents surveillaient, tu comprends !!! J’ai du renoncer….
Comme pendant nos études, Coco ne déroge pas à la règle, il boit ses paroles, Janine, elle, supporte…
Les fils de coco espèrent, leurs petites amies la redoutent
Elle est tellement attachante. Coco dit :- « on l’invite à noël ? » Pascal se réjouit
Et elle se sent bien chez eux, trop bien… Elle approuve.
Coco lui, le pauvre couvreur n’ayant que seul horizon des toits et des toits ! !! Elle approuve et lui renvoie ce merveilleux sourire, celui qui réchauffe le cœur des hommes !!!
-« Et puis la politique m’ennuie, sert moi un verre ! ».
Elle est partit le 15 Aout, exercer vers un autre ailleurs
Tous espérés recevoir son dernier merveilleux sourire, tous désespérés de son départ…
Sauf LOU ! La petite amie de Pascal
C’est un homme étalon. Il était annoncé par le dernier modèle de la mondialisation financière. Il s’appelle… Peu importe son nom car il pourrait tout être, n’étant distinctement personne. Il pourrait ressembler en même temps à un escroc et à un philanthrope, à un fasciste matois, un libéral démocrate, un respectable membre du clergé ou un élégant diplomate. C’est avant tout un haut potentiel aromatisé à la plus-value. Il appartient à la toute dernière génération des héritiers, trônant sur un monde trop étroit pour leurs ambitions. Avec cette soif de gouverner. Ce goût de tous les anéantir. Il attire comme un aimant la limaille argentée des bassesses et des intérêts amoureux. Comme à la cour d’un Japon médiéval qu’il admire, il a ses courtisanes, ses émissaires qui lui glissent à l’oreille des recommandations pour l’avancement d’une carrière ou la position de jeunes membres de la meute de ces loups financiers solitaires et aux ordres. Il semble inattentif, faisant à l’assistance pétrifiée des mortels ordinaires l’aumône de sa distraction distinguée.
C’est un génie d’instinct. Il estime les distances, sait dans l’instant où sont le centre et la périphérie. Il connaît les manières des notables. Il est partout. Il est connu de tous. Il sait se fondre dans le vide des civilités en toute connivence. Il jette une ombre froide sur le monde. Ses parents dirigeaient une industrie minière. Parti de très haut, il fut formé au secret. En charge des stratégies familiales, il pense global, il agit global. Il a le sens de l’argent. Une présence d’argent. Il parle beaucoup. Ses propos sont impersonnels. Rarement discutables. Il porte des représentations de portée mondiale. Sa parole est une parole de sérieux.
« Je l’avais rencontré au bal de la Générale, sur le bord du lac, un soir de fin d’été. Les parents me l’avaient recommandé. Il s’était montré prévenant lors du rallye de printemps. Je crois bien que j’étais un peu amoureuse. Depuis cette rencontre, il me semble que j’avais assujetti tous mes intérêts et mes affections à l’envie de revoir cet homme. Je l’avais pris par la main et l’avait entraîné sur la terrasse. Il me semblait tenir dans ma main un grand pouvoir. Nous avions longuement parlé. Il m’avait paru encore plus beau que la première fois. On ne sait pas pourquoi on aime. Mais ce charme qui émanait de lui me semblait justifier toute mon affection. Je n’ai pas vu qu’il me fuyait. »
Il enchante par sa parole chatoyante, son esprit volatil. Mais il n’est amoureux que de la détermination. Il tire sa séduction de la maîtrise de codes secrets et implicites. Il agit comme s’il disposait en permanence d’un miroir. Vouloir le retenir est aussi vain que de se saisir d’une anguille dans une eau savonneuse. S’il peut sembler parfois attentionné, c’est qu’il est en train de calculer le coût d’après, chasseur inconscient du gibier. Il ne se tient debout que par l’action. Savez-vous quels sont les forces qui permettent à un cycliste de ne pas s’effondrer et de produire un déplacement en ligne droite ? Le centre de gravité est porté vers l’avant, presque à la verticale de la roue. Et lorsque ce cycliste arrête son mouvement, il doit mettre pied-à-terre ou tomber. Ainsi, il ne peut être qu’en action. Il dort peu. Il n’a pourtant rien à redouter, si ce n’est la solitude. Ce qu’il sait de lui-même il le tient des femmes. Il apprécie bien sûr la compagnie de ses semblables, mais sur le terrain de l’intime, c’est un aveugle. Si vous percevez cette faiblesse, il s’en tirera par un rire, une pirouette, une ironie.
« J’ai senti monter un vide, un creux en lui. Il me regardait avec étonnement, moi qui, pour écrire, ai besoin de cette solitude, de ce silence, de ce repli sur moi. Il a paru soudainement confus, m’a parlé d’un point aveugle au fond de lui. De cet enfant qu’il était, curieux de tout, enjoué, cherchant à percer les secrets du monde. Son père l’avait mis à neuf ans en pension à Sorrèze chez les Maristes. Tout le prédestinait à un brillant avenir, il n’avait pas le choix. À l’internat, déjà, il compensait la distance dans laquelle ses camarades l’avaient emmurée par l’admiration qu’ils lui portaient. Il n’avait de commerce avec ses semblables que depuis sa position dominante. Et j’ai senti ce vide autour de lui. Il était traversé de sentiments contradictoires, à la fois triste et gai, exalté et désespéré, heureux et malheureux. Il m’a semblé comme un enfant perdu. Puis il a eu ces mots : vous ne comprenez pas. Je ne m’appartiens pas. Je regrette. Prenant prétexte de son emploi du temps, il prit congé avec précipitation »
Un jour ici. Un jour ailleurs. Il ne maîtrise pas sa vie. Il sert des intérêts qui le dépassent et l’instrumentalisent malgré des avantages matériels indéniables. Il a très peu à voir avec la réalité. Entre hôtel et avion, il vit sous atmosphère contrôlée. Un homme en pot en quelque sorte. Souvent sous terre, ou derrière des vitrages Sécurit. Vous pouvez rarement dialoguer avec un tel personnage. Il vous enverra un médiateur ou un porte-parole. Son métier est de trouver des investissements rentables pour des masses d’actions colossales. Ici une usine sera d’un trait de plume rayée de la carte pour mettre à sa place une autre activité ou bien rien d’autre. Les conséquences sociales ne seront même pas à l’ordre du jour du conseil d’administration. On y parlera seulement des opportunités stratégiques, du benchmarking, et des émoluments des cadres dirigeants. De plus en plus de cadres, de moins en moins d’ouvriers. Ce n’est pas son affaire. Il est déjà reparti. Il s’adapte à tous les climats. Pour lui tout se vaut, y compris les femmes.
« Il ne peut pas s’attacher aux femmes. J’ai fini par m’en rendre compte, sans pour autant comprendre. J’ai mené ma petite enquête. Ce monsieur aime le commerce des professionnelles. Ces femmes aux bouches si rouges qu’elles vous feraient peur, elles l’inspirent. Il tient un carnet d’inventaire. C’est un collectionneur. Un archiviste des conquêtes. J’ai pourtant continué de lui écrire. Il n’a jamais répondu à mes lettres. »
Il passe parfois ses nuits dans les faubourgs, au péril de sa vie. Un grand amour pourrait peut-être le tirer de là, mais encore faudrait-il qu’il puisse l’éprouver. Cela n’est en rien dans sa nature. Son père était comme lui. Lui n’aura pas d’enfant. Il a intégré les convenances et dissimulé les inconvenances à un niveau inégalé. Il ne peut plus envisager d’union que comme une joint-venture. Pour autant, il n’a aucun respect pour l’abstinence. Ceux qui prônent l’éloignement du désir le font rire. Il dit qu’il n’a pas de conscience. La conscience est le fruit d’une déficience vitale. Il est un homme debout, un homme sans visage tenant debout par la vitesse. Un touriste du monde en tourisme d’affaires.
De l’autre côté
Traverser le miroir. Appuyer son front contre la glace pour traverser le miroir. Sur la glace coule la pluie, arrogante, pour traverser le miroir. Y aller. Ne pas hésiter à trancher avant de se demander ce qu’il y a de l’autre côté. De l’autre côté du miroir traversé, de la glace fracassée et se demander : traverser le miroir pour y voir quoi ? Le front contre la vitre qui ruisselle. Sa beauté n’a de cesse de stupéfier le monde, le petit comme le grand monde mais sa propre beauté est si fascinante que quiconque croisé dans la rue se retourne, cherche son contact. Homme, femme, personne ne se détourne bien au contraire. Combien de fois le passant a-t-il fait un pas à droite alors que la beauté arrivait sur le quidam. Puis un pas à gauche pour l’éviter mais l’attraction est si forte, si immédiate que c’est toujours un corps à corps imperceptible de la rue qui marquera à jamais son vis à vis.
Cette beauté est hors de l’admissible, charisme incroyable si prégnant que s’en est aussi attirant que quasiment repoussant. La beauté à l’excès peut-être invalidante, l’éloigne de celui ou celle qui serait différent, peut-être dans la durée, peut-être à la vie à la mort. Oui cette captation de l’autre qui se sent comme avalé entraîne à espérer certains jours d’être la laideur incarnée. Qu’une cicatrice lui tranche le visage jusqu’à ne plus pouvoir lui donner un âge. Sa mère le disait encore quand elle agonisait : « Tu manipules, tu joues à être l’objet alors que tu es le sujet, le verbe et le complément. Tu n’as besoin de personne puisque tout le monde est là. Ta cour s’aplatit quand tu tends tes bras mais personne ne lève la tête pour saisir l’instant de ta fragilité. Sache bien et souviens-toi que le gouffre de l’excès est inadmissible. La solitude est au bout du chemin ». Ce sont ses derniers mots, son ultime râle.
Du haut de ses dix-huit ans, l’écriture lui file entre les doigts à une vitesse vertigineuse. Cette folle jeunesse qui lui permet tous les excès que sa mère abhorrait, son air angélique et ce sourire effronté. Le charisme en bandoulière, le regard direct avec ce petit air de ne pas y toucher. L’amer de la mère n’a servi à rien. Les femmes et les hommes se pâment, espèrent ses faveurs même si cela ne doit durer que quelques heures. Combien de draps son corps a-t-il foulé de toute la puissance de ses dix-huit ans ? Combien de corps démontés le charisme a-t-il offert promettant le port de l’angoisse dans ses immenses yeux bleus comme ligne d’horizon ? La manipulation est devenue un jeu pervers mais dans le fond coule le dégoût de l’autre. La beauté se liquéfie au fin fond des entrailles puis un jour, dans un excès de sexe qui cache subtilement la peur de tomber en amour, apparaît son propre dégoût. La manipulation manipule et la vie devient cauchemar. Toutes et tous sont là à sonner à sa porte, l’inviter, vouloir coucher puis recoucher et recoucher encore. Mais un jour ou est-ce une nuit ? La vérité refait surface sous les traits de sa mère et tout lui revient : cela prendra fin !
Sa beauté se dit qu’elle aimerait bien le traverser ce putain de miroir, l’exploser pour ne plus jamais se voir. Le front contre la glace, le front blanc et blême, l’enveloppe d’un cerveau en sursis d’un corps si jeune qui se perdra si vite dans les fausses voluptés de la jeunesse, dans le regard éperdu de l’autre si peu, si rien, mangé sans faim jusqu’à l’écœurement de son propre plaisir. Charisme ? Quel charisme ? Celui qui pourrait se cacher dans les buissons à attendre le client ? Quelle différence entre sa jeunesse infamante et la vieille pute, mec ou gonzesse qui ne vend plus son cul que pour survivre. Quelle différence pour quel avenir ?
De l’autre côté du miroir brisé, une jeunesse encore très jeune se fracasse à en faire dégueuler le charisme et hurle en silence « J’ai honte. Je me dégoûte ». La pluie ne cesse pas et c’est ainsi que l’océan de ses yeux bleus se décolle, cassant son front contre la glace du restaurant, son front trempé des larmes indifférentes des nuages, larmes et lames de fond de l’autre côté du miroir, derrière la glace du restaurant. La beauté gémit et regarde enfin dans la glace sans tain de l’autre coté du miroir. Elle se regarde et n’aime pas ce qu’elle y voit.
Elle pâlit d’envie. Puis elle pleure.
Parce que de l’autre côté du miroir, derrière la glace sans tain, la beauté sait qu’elle expirera. La traversée du miroir ne pardonne pas. Çà la traverse. Ça explose. Miroir en millions de facettes. Traversée mortelle.