Les ateliers Théâtre/Écriture du Centre Dramatique Régional de Tours ont débuté en 1996 dans le quartier du Sanitas sur l’impulsion de Gilles Bouillon directeur et metteur en scène et François bon, écrivain. Ils sont aujourd’hui dirigés par Léa Toto.
J’ai avalé ma langue
Je me lève dans la poussière du jour avec une idée fixe. J’ai vraiment le sentiment d’être incompris. Je tourne en rond dans mes pantoufles. Dehors la rue au bord du fleuve apporte des relents d’automne, odeurs de feuilles pourries et de grisaille. J’habite sur la cour, l’ile du centre ville, et l’eau boueuse semble prendre en tendresse dans le creux de ses bras l’immeuble décrépi. L’ennui fait une flaque sur l’encaustique du vestibule. Le temps s’écoule au goutte à goutte.
Je me sens ignoré. Mes paroles sont rares. Dans le fond des poches de l’ennui je fais des mots croisés à la mine de plomb. Je tisse la trame d’une langue comme d’autres feraient leur tricot. Un mot à l’endroit, un mot à l’envers. J’ai des trous de mémoire à ravauder. A Laval une slave valse nue. La mariée ira mal. J’aimerai ne plus tourner rond. Les chalands passent lourdement par la fenêtre aux courants d’air.
Ce soir, j’ai droit au carré blanc. Les mots se dissimilent. Je compte jusqu’à cent, et ils m’embarquent dans des voyages fantastiques et des géographies étranges. Pour les trouver, je devine d’arrières pensées, j’explore des chemins détournés. Doucement le damier se garnit. J’en suis venu par habitude à être inhabituel. Je m’exprime par devinettes, par des analogies et des images muettes. Il faut pour chaque terme donner le mode d’emploi. Hier une dame cherchant sa route m’a giflé.
Pardon de couper les paroles, mais j’apprécie surtout les propos à l’horizontale, les chutes, les points de suspension, les arbres qu’on abat, les racines latines, les fractions. Je reste dans la ligne. Alors quand je croise un haut-parleur vertical, qui met les barres au t et les points sur les i, qui d’un petit paragraphe monte toute une mayonnaise, je suis bien content. Cela est si rare.
On ne me comprend plus. J’ai appris à écrire dans l’almanach Vermouth. Je cherchais dans le fond de mon verre les réponses à toutes les questions. Le nombre de moutons de la Nouvelle Zélande avant de m’endormir au comptoir, l’âge des galaxies, l’heure de la fermeture. Des conseils précieux pour me faire la vie belle. La liste des saints du calendrier grégorien que j’avais entrepris d’apprendre avec les dates à chaque fin d’année. Voilà pour partie la cause de mes malformations. J’étais aspiré par le passé.
J’avais acquis auprès d’un colporteur un ouvrage un peu prétentieux : Tout sur Tout (et en toutes circonstances sous titré). J’en rie, mais j’y ai cru. Ce livre bornait l’étendue de mes connaissances. Je m’arrêtais à la frontière de ces savoirs. Rien n’était relatif. Le temps indivisible coulait en sens unique et le monde était éclairé de l’intérieur. Tout ce qui était tenait dans une encyclopédie. L’univers, si lisse, avait une fin en soi. Les dictionnaires contenaient toute la création en pièces détachées, et ouvraient la porte des rêves.
Page 248 :
Guépard : Espèce de chat des Indes. Mammifère carnassier d’Afrique ou d’Asie réputé pour sa vitesse. Dressé autrefois pour la chasse. La seule espèce connue est le guépard à crinière. La seule espèce connue…. Par cette simple phrase, ma bonne encyclopédie engendrait des lignées chimériques. Le guépard bleu, le guépard à carreaux, et plus rare, le guépard à huit points envahissaient l’espace de mes rêves, attendant d’être enfin découverts.
Par le guépard, nous voici entré dans l’ère de la vitesse et de la précision. Le léopard des neiges doit bientôt disparaitre car de neige il ne sera bientôt plus question. Les fourreurs ont déjà disparu. Heureusement, il fait moins frais.
Wikipedia m’a ridiculisé. Je me suis mis au scrabble et ce fut pire. Au sanatorium où nous jouons tous les après-midis en duplicate, le personnel est très gentil. Je me nourris de vastes horizons donnant sur la vallée et de bonbons au miel. Entre deux quintes de toux, je tire d’une main tremblante du petit réticule de velours mauve des petits carreaux beiges pour prédire l’avenir.
Je ne peux compter que sur ces lettres. Elles m’envoient des messages de l’au-delà. Elles se battent pour avoir les places au premier rang. Elles disent un inconnu. En sept lettres, sans ambitions.
Alors, aujourd’hui, j’ai décidé de reprendre ma vie en mains propres. Passer du coq à l’âne, je ne suis pas sûr que les poules apprécient. Je vais potasser mes manuels, apprendre le langage SQL, le Basic, passer du mode bipolaire aux infinis octets. Silicium et métadonnées. Je vais envahir les circuits vingt quatre heures sur vingt quatre.
« Croyez-moi. Vivez-moi. Je vous rénoverai.
Je suis géométrie. Visage universel.
Mes lignes sont des mots. Des murmures sans bruits.
Par vos gestes qui tracent. La beauté de ma vie »
Palanc
Héritage
Le fils,
Hérite de son père, de sa mère, de sa tante ou de son frère.
Je ne sais.
Il hérite de la terre
Terre nourricière
Nourricière des bêtes
Des bêtes à l’homme
A-t-il le savoir- faire ?
Quelle formation est nécessaire ?
Va-t-il faire ou défaire ?
La terre se donne.
La terre se vend.
Toujours question d’argent !
L’homme achète des bêtes
Les bêtes en pâture
Nourriture
L’héritage s’épuise
L’homme vieillit
Il en veut les fruits
Jusqu’à l’infini
La solution qui paraît sage
Faire les partages
Les fils, les filles héritent
Lui versent l’usufruit
D’une belle femme il est épris
Il se remarie
Elle est bien plus jeune que lui !
Madeleine 14 janvier 2015
Assise sur la banquette d’un bistrot bruyant, sous la patère piquée de chapeaux de paille, je suis allée à la rencontre de Melencolia…
Sous la forme d’un ange. A quoi pense-t-il ? Ou bien, à quoi pense-t-elle ? Je ne sais pas ce qu’on dit pour un ange. Son allure a tout du genre féminin : une robe plissée soyeuse, des cheveux longs tombant sur ses épaules, des clés et une bourse soigneusement attachées à la ceinture. La gardienne des lieux ? Son regard est posé au loin. Immobilité. Solitude. Distance. Quels tourments l’habitent ?
Au second plan, un petit personnage léger. Je le verrais bien s’envoler, se poser sur l’échelle, s’amuser à gravir chaque barreau, puis redescendre pour caresser le chien qui dort, dans sa bulle ensommeillée. Puis, l’espièglerie l’amènerait à renverser le gros sablier, au dessus de la tête de l’ange qui perdrait son sérieux ? Ou en serait amusé ? Agacé ? Rire ou grosse voix qui résonne.
Dans la partie sombre, c’est un vrai bric à brac d’objets. Prétexte à dresser une liste pour la prochaine vente à l’ancienne. Combien donnez vous pour le rabot ? La scie ? Le compas ? Et la balance à double coupelle ? Tous de la même époque. Sans oublier la cloche à battant, facile à suspendre grâce à son anneau ciselé. Quant au carré magique, il est sans âge ; d’où son prix inestimable. Qui est intéressé ?
Les yeux posés au loin ignorent la partie lumineuse. Comme dans un rêve, le soleil y côtoie l’arc en ciel. Un chien volant et souriant y déploie la banderole de Melencolia. Il zigzague dans les airs, très haut. Il évite l’effleurement des eaux car un dragon y vit, toujours prêt à dévorer ce qui chatouille son museau.
Vision contrastée. Lumière et noirceur. Légèreté et pesanteur. Mouvement et immobilité. Questions sans réponses.
Marcelle.
Il aime faire plein de chose, Mathieu. Il aime peindre, il aime lire, il aime écouter de la musique. Il est pluridisciplinaire. Et ça lui plait.
Sur le chemin du travail, il rêve. Il rêve qu’il est à la campagne, sur un chemin verdoyant. Mail il est encerclé de bitume.
Le midi lorsqu’il rentre déjeuner, il se prépare un bon petit plat. Il est gourmand. Il n’a pas peur de grossir.
Le soir, il se lâche. Il se détend. Bois un verre.
Il pleure, il rit. Il est seul. Il n’a pas d’amis. Pourtant il est dans sa ville. Il aime faire du sport. Il court, il pratique la marche nordique. Il est inscrit à un club.
Il veut voyager. Apprendre une langue. L’italien lui plait. Mais l’anglais peut lui servir dans son métier. Il n’aime pas parler de son travail. Il se sent comme prisonnier. Un oiseau en cage.
Aujourd’hui il veut réfléchir à son avenir. Il veut évoluer, que se soit dans sa vie affective que professionnelle.
Il pense à sa mère, son frère lui manque. Il boit une bière. Il prend une revue. La feuillette sans lire un article précisément. Il allume la télévision, il l’éteind. Il ne sait pas ce qu’il veut. Parfois il est lunatique.
Mathieu, je le connais bien. C’est mon corps. Il est mon esprit. Il est mon totem. Il est mon tout. C’est mon frère jumeau.
Cosmogonie
Un jour ou l’autre, il faut bien appeler les choses par leur nom. Ce jour là, jour unique de l’éternel, Elohim dût se résoudre à mettre le grand dessein à exécution. L’ordre semblait clairement venir de plus haut. Il sortit à regret du potentiel où il se trouvait bien, pour séparer la lumière des ténèbres. Puis il créa le monde en dix paroles, comme on le lui avait demandé. Le néant était pourtant un domaine idéal où son penchant naturel pour l’indécision s’épanouissait pleinement. Mais en ce jour unique de toute éternité, il commençait tout de même à trouver le temps long.
Au commencement était le néant, et donc le néant était Dieu, l’unique, qui à un moment indéterminé décida de passer à l’action. Au premier mot, les particules arrêtèrent de s’agiter en tous sens, et l’air étonné, se tournèrent vers le créateur qui leur confia des charges. La matière se séparait de l’antimatière. Il y eut un début, et à partir de ce moment, l’univers avança vers sa fin. Le temps n’avait plus qu’à s’écouler entre cette origine et l’horizon indépassable de ce monde uniforme. Il est d’ailleurs frappant qu’aujourd’hui encore, la ligne d’horizon ait gardé cette propriété de s’éloigner de qui veut l’approcher. Dieu avait expulsé de lui dans un grand désordre un univers qui avait un sens et qui s’éloignait. Mais Dieu était partout et il veillait au grain. Les corpuscules s’aggloméraient sous haute surveillance. Tout était nuit. Et au revers de cette nuit, Dieu créa la lumière, et il vit que cela était bon. Il vit surtout que préalablement il n’y avait rien à voir, puisqu’il n’y avait pas d’avant, ni d’après, ni même d’arrière. Son souffle planait sur les eaux dans le silence. C’était la première planète sur laquelle il posa son regard. Fatigué par le vol, il éprouva bientôt le besoin de descendre de son trône. Las, il ne savait pas nager. Il sépara donc les eaux d’en haut des eaux d’en bas, et une terre émergea, sur laquelle il laissa ses empreintes. Comme il avait des idées pour la suite, pour avoir les mains libres, il installa des luminaires autour de la planète. Il y eut un soir et il y eut un matin. Il avait déjà bien avancé.
La terre était tohu-bohu. Il fit appel aux lois et aux forces de l’ordre. La première fut la gravitation. La mécanique céleste se mit en branle, et la matière se plia à la nouvelle règle : elle allait désormais s’effondrer sur elle-même à n’en plus finir, chercher son centre, et s’étreindre par delà le vide. La seconde loi, la thermodynamique, réchauffa un peu l’atmosphère. A partir de ce moment, les éléments se dissipèrent. Tout était prêt pour la suite. Le monde ne s’est quand même pas fait en un jour. C’est une question de longueur d’onde.
Le deuxième jour de la nouvelle éternité, Dieu décida de peupler la terre. Il installa l’éden en haut de la montagne, puisque c’était le seul lieu émergé. Il est d’ailleurs frappant qu’aujourd’hui encore les agences de voyages nous vantent les iles pacifiques comme des paradis. Il dit à l’herbe de pousser, et dans cette atmosphère chargée de gaz carbonique ce fut une explosion de verts, de bleus, de bruns. Les arbres mesuraient cent mètres et les fougères battaient de l’aile. Dieu vit que cela était bon. Il laissa le temps à la verdure de fabriquer la couche d’ozone pour éviter les coups de soleil.
Le troisième jour, Il dit aux eaux d’en haut de pondre des oiseaux, aux eaux d’en bas de faire le plein de choses qui nagent et de coquillages. Il instaura la couvaison générale. Tortues, oiseaux, poissons, insectes, vers et grands lézard couvèrent avec plus ou moins de patience des générations ovipares. Dieu vit que cela était bon. Mais il eut une subite envie d’omelette.
Alors, le troisième jour, Dieu inventa les animaux à poil, et donna pleinement cours à son imagination. Les souris amphibies adoraient la baignade, et les poissons prenaient goût à la grève. Il est d’ailleurs frappant que les prolétaires aient dû faire grève pour aller à la plage. Le grand domino génétique brassa les populations migratrices en vacances. Le monde devenait compliqué.
Les êtres vivants firent une assemblée générale le quatrième jour et appelèrent Dieu. « Explique-nous au monde ! Rend nous intelligent pour un autre que toi, égoïste ! ».
Dieu, plutôt fier de sa création, accepta un concurrent. Il prit une poignée de boue et créa l’homme à son image : un animal debout qui a besoin d’un trône. Il installa Adam au Paradis, et vint de temps à autre pour un barbecue végétarien. Ils buvaient de l’eau claire et se pâmaient. Mais Adam en eut assez de jouer avec ses peluches. Dieu lui prit une côte et fit Eve. Par la suite, il prétexta qu’ils avaient enfreint la loi en recherchant des renseignements sur leurs origines dans la pomme. La vérité, c’est qu’avec toutes ces bêtes et leurs petits le paradis était devenu trop étroit. Il mit fin au bail et pria tout le monde de sortir. On vit une marée vivante descendre de la montagne. Adam avait honte parce qu’il était nu. Il n’avait pas eu le temps de ramasser ses affaires.
Elohim l’envoyait chasser les animaux de la terre, où il n’eut d’autre solution que d’être inventif pour sortir de ce mauvais pas. Il ne manqua ni d’énergie, ni d’imagination.
C’est ainsi que les choses et les noms commencèrent à se multiplier. Elohim laissa faire.
Adam et Eve eurent des jumeaux chamailleurs. Un jour qu’Abel faisait un mandala en gardant ses moutons, Caïn lui chercha comme toujours des noises. Accident ou acte volontaire ? On ne le saura pas. Ce qui est sûr c’est qu’Abel git dans l’herbe avec un trou à l’arrière du crâne.
La famille Adam s’étoffa pourtant. Caïn épousa sa sœur. Il n’avait pas le choix. Il eut une vie morne et y laissa un chromosome. Son fils apprit le métier des armes. Son frère survivant resta discret et fut prolifique. Il établit une maison de cérémonie de l’autre côté du monde. Il se méfiait de la branche des soupes au lait. Un des ses descendants, Enoch, adora les idoles, ce qui mit Dieu dans une colère noire.
La suite, on la connait : déluge, sélection naturelle, catastrophe. L’arche s’échoua au sommet du mont Ararat, et on recommença l’histoire. Moïse, l’enfant abandonné emmena sa grande famille dans le désert et s’aperçut un peu tard qu’il n’y avait aucun chemin. Le peuple grégaire dans une grande soif le supplia de trouver un bistrot. Moïse frappa un rocher à grands coups de bâton, mais rien. Dieu lui glissa à l’oreille de parler aux cailloux. Moïse n’aime guère être pris pour un idiot. Il s’entête, et continue à mettre une raclée au roc aride. Son bâton de transforme en serpent et se taille. Moïse désespéré implore le bloc de calcaire, et se demande s’il ne vaudrait mieux pas faire demi-tour. Et là miracle (à cette époque, c’était plus courant) l’eau jaillit. Les fugitifs fêtent le chef. On n’obtient jamais de secours par la force. Je te parle et tu es mon égal. Je te bats et tu es mon esclave ennemi.
Abraham descendra enfin de la montagne où brûlent les buissons. Il donnera au peuple les tables de la loi, en leur disant les signes du ciel sont des mots. Les mots organisent le monde.
Adam est le premier état du monde, la parole parfaite.
Avec Caïn, le désordre revient, les mots lui manquent.
Enoch replonge dans l’obscurité des dieux anciens.
Noé flotte au-dessus de l’abîme et parle au ciel avec sa voix de bête.
Moïse trouve un chemin dans la lumière bruissante d’Abraham.
Un monde nouveau à Sumer invente l’écriture et le conte. Les langues se séparent dans un grand soir qui se termine en incendie.
Il neige au paradis. En Arménie, à l’heure ou l’empereur et ses généraux tentent de faire tourner la terre, une jeune femme de village aux tresses noires s’est peut être arrêtée sous un pommier en fleurs. Elle tient son enfant dans ses bras, et le regard sur lui, elle repasse les choses dans son cœur. Elle lui raconte l’histoire qu’elle-même tient de sa mère, la véritable histoire du monde d’où elle vient, la vérité, la paix, l’amour et la justice. L’enfant aux yeux immenses conseille les anges dans leur sommeil et les rassure.
Sa mère ferme le livre, rassemble ses forces et se lève sous la face du ciel. Les ottomans sont aux portes de l’empire.
Naissance d’un Monde
Le néant, les ténèbres, le silence pas la moindre odeur, absolument rien depuis des millénaires.
Et puis, pour quelle raison, comment, pourquoi, personne ne le saura jamais, la formation d’une petite boule dorée. On ne voit qu’elle. Elle est minuscule mais elle brille de mille feux. Elle se met à grandir, grandir, grandir à une vitesse hallucinante et finie par exploser en mettant au monde des milliers de petites boules dorées, scintillantes. Dans cette multitude une seule se distingue des autres. Elle est aussi scintillante, mais elle brille d’un vert magnifique aux reflets d’or. Nern est née ! Au sud sa surface est recouverte d’une eau turquoise, bordée de sable argenté. Plus loin vers le nord s’élève une montagne orange d’où descend une cascade rouge qui se jette dans un bassin couvert de fleurs étranges. Est-ce que ce sont vraiment des plantes ? En s’approchant elles ressemblent à des êtres bizarres avec des visages, parfois humain, parfois animaliers. Certaines sont lumineuses, radieuses sans contours précis. Ces dernières se trouvent au milieu du bassin, émettent une douce mélodie en se balançant légèrement autour d’une grande fleure blanche d’une envoutante senteur citronnée. Celle-ci sert de berceau à un petit être à la peau ébène et aux grands yeux d’or. Am a l’air heureux dans son berceau.
De l’autre côté de la montagne s’étend une forêt dense et multicolore, peuplée d’animaux sauvages. Dans son centre une grotte éclairée par l’étincellement de milliers de diamants. Ici vit Mour, petite fille très claire de peau aux yeux émeraude. Tout est paisible. Les animaux sont d’une douceur insoupçonnée avec elle. Elle joue avec eux et son rire cristallin résonne en cascades sur les parois de la grotte.
Des années plus tard ces deux êtres se rencontreront. Ce sera la naissance de l’Amour !
Cosmogonie proposition N°2
« de Zéro à Un »
Zéro,
Trou, noir devant, noir derrière
*
Bulle d’eau
Bulle de poussières
Agglomérat
Plasma de la terre
Pépite de l’univers
*
Souffle d’en haut
Ange ou Démon
Lumière
La terre s’éveille
*
Végétation luxuriante
Humus
Ver
*
Ver luisant
Ver à soie
Cocon doré
*
Panier de bébé
Premier né
*
Dénommé
UN
Madeleine
La vérité.
– Quelle part de vérité peut supporter la fragile âme humaine ? Je répondrai bien sûr à vos questions, je suis prêt à me révéler. Mais votre conviction est établie. Vous n’en êtes déjà plus au stade des hypothèses. Ce que vous avez découvert ne peut que traduire mon funeste intérieur. Mes actes sortis de la gangue de la culpabilité, à la lumière les faits me transfigurent. La réalité insupportable ne peut être que le fruit de mes pulsions, ma part d’ombre. Baissez cet éclairage.
– Fermez-la, et assoyez-vous.
– Vous êtes à la bonne place, monsieur l’inspecteur. Les apparences sont contre moi, mais qu’est au juste le réel ? Dans les conditions où vous me recevez : l’acquiescement aux humiliations. Le devoir filial touche parfois aux limites de l’acceptable. Nous sommes ainsi, moi et des milliers d’égoïstes.
(Un intellectuel. Pourquoi est ce que ça tombe toujours sur moi ce genre d’emmerdes ?
L’assassinat de bon père de famille, ce n’est jamais pour ma pomme. Du paysan ou de l’employé de ministère qui regarde le fond des ses godasses. Trois claques, la grosse voix du père, et les aveux qui tombent. Il y a plus qu’à se baisser. Pas besoin de les accompagner jusqu’aux portes des maisons d’arrêt grandes ouvertes. Même à coup de bottin, on est encore là demain.)
– Bon, maintenant, ta gueule. Et sur ce meurtre abject, t’a quoi à raconter ?
– Mon père avait quatre vingt trois ans. Son grand âge n’excuse pas tout. Nous l’avions effectivement enfermé depuis deux mois. Il ne respectait plus les consignes. Nous l’avions retrouvé à plusieurs reprises en train de se rouler des cigarettes dans les rangs avec des feuilles de maïs. Fumer, c’était hors de question. Pour raison médicales, et parce qu’il avait failli mettre le feu. On s’occupait de sa retraite, et on lui avait supprimé son argent de poche. Il dépensait à tort et à travers. Et non content de désobéir, il était devenu effronté. Il critiquait les décisions du conseil de famille. Puis ça a empiré. Il faisait des fugues. Il volait. Ma femme était obligée de planquer son porte monnaie et de mettre sous clé toutes les valeurs. Il était même allé jusqu’à négocier avec notre petit dernier l’emplacement de la clé de la réserve contre son argent de poche. On en est venu aux privations alimentaires. Quelques périodes au pain et à l’eau n’allaient pas le faire mourir. Au contraire. Une petite diète n’a jamais fait de mal. Il était sujet au cholestérol. Il s’est échappé du village à plusieurs reprises, caché dans la soute à bagage de l’omnibus pour aller retrouver ses vieux copains au bistrot. Une bande de poivrots qui lui faisaient les poches. C’était un alcoolique fini quand il est venu s’installer à la maison. Si nous n’avions pas mis le holà, il ne serait rien resté de l’héritage. Alors, on a fini par l’enfermer. Et hier, comme on ne l’entendait plus vociférer ni taper dans la porte, on est allé voir. Je n’en sais pas plus.
– Tout de même. Ce n’est pas banal. Un vieux qui se noie avec la tête dans le lavabo. La fenêtre de la chambre est cassée, et ses affaires sont dans un désordre qui tranche avec le reste de la maison.
– La fenêtre, ça fait longtemps qu’elle est cassée. C’est un four dans le coin, vous le savez bien. L’harmattan lorsqu’il enfle, ce vent de langues et de tumulte, brûle tout sur son passage, renverse les pylônes, et dresse sur la plaine un mur ocre de cent mètres de haut. Pour le vaincre les rêveurs ouvrent grands leurs mains secourables, et détourne par leurs caresses le tourbillon qui vire sur sa pointe et s’arrachant du sol, passe par-dessus les tôles grinçantes. Le bétail s’est couché dans son souffle ardent. Hier encore l’horizon en était assombri. Alors peut être, par cette fenêtre à la vitre cassée, la chaleur suffocante est – elle entrée dans la chambre. Le père a-t-il eu l’idée de se protéger en se plongeant dans la tiédeur de l’eau ? Il aurait oublié de reprendre son souffle.
Et puis vous savez son histoire. Il était tristement connu. Il adorait les expériences. C’était un fieffé raciste qui testait ses théories sur la supériorité de l’homme blanc européen. Il avait pris part aux brigades spéciales et obtenu souvent des aveux décisifs au bord de la baignoire. Il a peut être voulu savoir ce que cela faisait, ou mesurer au volume déplacé sa capacité crânienne. Il tenait des tables de correspondance entre les types et les physionomies. Saviez vous qu’un crâne de gorille excède rarement 900 cm3, comme les cranes des nègres du plateau continentale de Zambazie ?
Je me dis aussi que…
– Je ne vous accable pas. Je vais vous éviter un autre dérangement. Ça vaut mieux que de l’avoir fini au couteau. Il aurait fallu s’acharner, même pour un homme de son âge. Et des coups de feu auraient alerté les voisins. Je suis prêt à vous accorder le bénéfice du doute. Un acte de miséricorde lui aura évité les dernières flèches du temps.
– Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
– Excusez nous pour le dérangement. On aura du mal à prouver autre chose que votre bonne foi. Un accident inattendu. Mais dépêchez vous d’enterrer le cadavre. Avec cette chaleur, l’odeur va vie devenir insupportable.
(Un voisin m’a dit que sa femme et ses deux enfants étaient partis pour une ballade en canoë, avec très peu d’affaires. C’est la fin des vacances, et la sœur de sa femme est sans nouvelles. Elle aurait retrouvé la tente canadienne et quelques vêtements sur le rivage. On ne va quand même pas vider le lac.)
Proposition n°3- 28 janvier à St Germain
Relater un fait divers de façon lyrique
Le fait divers
J’arpente la rue à vive allure.
Munie d’un parapluie, il pleut, il bruine, les pavés luisent.
Je pique le sol à la manière d’un Lord, fière allure me donne.
Pour de ce pas assuré retrouver mes amis au bistroquet.
Cœur léger, pensées plein la tête, je me fais déjà une fête.
Je reviens doucement sur terre,
j’attends le petit bonhomme vert,
signal du passage de piétons.
Il ne se passe rien.
Le fait divers je l’attends,
il emplit les colonnes des journaux
et dans ma tête rien ne vient.
On dit « la rubrique des chiens écrasés »
Qui a eu l’idée de la dénommer ainsi ?
Les faits divers ne sont-ils pas respectables ?
Décrire un fait divers et être aimable,
Captiver le lecteur, lui donner de l’émoi !
De l’émoi ce soir je n’en ai pas.
Aucun fait ne me remue les tripes.
Je n’écoute plus rien autour de moi,
Dans une bulle je suis.
La nuit tombe.
J’attends l’évènement.
L’art de faire attendre….
Je viens d’inventer…… « Le suspens » ……
Madeleine
Fait divers :
Un homme affamé est décédé après avoir mangé toutes les pommes d’une dizaine de cagettes . Le clochard s’était introduit dans les sous-sols d’un grand magasin d’alimentation en fruits en primeurs. Intrigués, après , analyse, les médecins légistes ont constaté que son ventre hyper distendu ne contenait pratiquement que de l’eau ….
Ma réaction de journaliste !
Une homme meurt d’avoir mangé trop de pommes
Comment peut-on mourir de faim alors qu’on a le ventre gonflé à éclater ?!!!
Simple
Une pomme de 1950
Vaut 100 pommes d’aujourd’hui !
Une blanche vaut bien deux noires
Ben voyons !…
Revenons en arrière
Un peu de sérieux !
Comment dans ces conditions
Eve aurait-elle pu séduire Adam avec une pomme d’aujourd’hui
Imaginez !
Peut être même n’existerions nous même pas !!!
Non mais qu’est-ce que cela signifie ?
Y aurait il eu en 1950
Une pomme exceptionnelle
Plus tentante même que la pomme d’Adam !!!
Ô Dieux est-ce possible ?
Avide je lis.
Hélas, hélas, pauvre de nous…
La vie a disparu de la pomme
La pomme s’est désintégrée
Eparpillée, soufflée
Un petit creux
100 pommes de 2015
Et tu seras rassasié
Contre une seule pomme de l’an 1950
Ah ! la vie augmente à l’extérieur
Mais diminue à l’intérieur !
Où sont les nutriments d’antan
La vitamine C
C C C C’est quoi, c’est où ?
Partout, nulle part … diluée
La golden des années 60
Est arrivée
L’envahissement à l’étalage
L’or de sa peau flamboyant
Dans les casiers
L’eau sucrée sous sa peau
Tendue
Le jus qui dégouline insipide
Rendement rentabilité
Haut le cœur !
Les fruits grossissent
Les enfants grandissent
A la vitesse des légumes surtraités
Fragiles allergiques
Sans résistance, bousculés, légers
Vulnérables
Si tu as faim ne crains rien
Croques les pommes et le soleil avec !
Ça c’était avant
Mais aujourd’hui si tu as faim
Tu dois croquer toute la cagette
Et le bois avec !
Où est la pomme qui soigne ?
Où trouver cette chair ferme et juteuse
Cet attrait irrésistible
Qui crée le désir
Chaque pomme est une fleur
Qui a connu l’amour
Aujourd’hui …
Le pommier est épuisé
Il est exangue
Sans ressort
L’homme le dope aux apports
Chimiques
Donne donne encore et encore
Et toujours
Peu importe ce que tu donnes
Peu importe ce que tu es
Qui tu fus
Peu importe ces noms prestigieux
Belle de Salin
Reine des reinettes
Calville rouge et fraîche
Croquante et juteuse
Tu as couvert toute la planète
Et portes les noms des lieux que tu as peuplés
Des hommes que tu as nourris
A qui tu as suffi
Clochard
Reinette du Mans
Reinette du Canada
Petite reine de nos palais
Tu n’es plus aujourd’hui
Qu’une pauvre enveloppe
Gonglée
Au gaz éthylène
Gonflée de vide
Vide
Porteuse de vide !
La vacuité de 2015 !!!
Le 28 janvier 2015
Bonne pomme
Ma valise à la main
J’attends le train.
Un beau voyage imprévu ;
Qui l’aurait cru !
Le train entre en gare,
On se sépare.
Du coup surgît une image,
J’avais un autre âge.
Et moi aussi, j’ai du tourner des pages.
COUPER LE CORDON……
Je me souviens de mes 18 ans.
Sur le quai de gare j’embrassais mes parents.
Ils étaient en larmes,
J’avais le cœur serré,
Mais je partais vers MA liberté !
Ma vie d’adulte m’ouvrait ses bras !
J’éprouvais de l’appréhension
Et en même temps une grande joie.
Couper le cordon,
Il paraît que ça a du bon,
Surtout pour les enfants.
Mais c’est bien plus dur pour les parents.
Je sais bien, on ne les fait pas pour soi,
Mais je n’y peux rien,
J’ai le cœur en émoi.
Ca fait plaisir de les voir grandir,
Mettre un pied dans la vie et se la construire.
Mais ça nous fait d’un coup vieillir !
Le dernier parti, il faut réorganiser sa vie,
Faire de son mieux et profiter un peu
De ce qui s’offrira à nous
Avant d’être trop vieux.
Couper le cordon,
Ça a du bon pour les enfants,
Mais c’est un peu plus dur pour les parents.
Me voilà dans mon train,
L’avion m’emportera au loin…
Inde, pays de mille couleurs, de mille senteurs,
Pays de mes rêves…. j’arrive!
Mémoires du lac d’Ofrah
Si vous lisez ces lignes c’est que vous êtes encore de ce monde. Je ne sais pas si cela vaut mieux pour vous. Pour ce qui me concerne je me sens soulagé car demain à l’aube je ne serai plus. Tout a commencé avec la chute de la météorite. Notre ferme se trouve sur le haut d’une colline. Elle surplombe une vallée profonde où la lumière pénètre rarement. Lorsque nous nous sommes installés dans ce coin les ronces et les mauvaises herbes régnaient. Nous n’avons jamais prêté grande attention aux légendes qui circulaient. Ofrah est une vieille ville pleine de contes et de légendes. On disait que ce coin de vallée était maudit. Les anciens habitants étaient partis. Des bâtiments vides en état de délabrement plus ou moins avancé bordaient l’ancienne route qui continue jusqu’à la mine. Nous avons barré la vallée pour créer un vaste réservoir, et à partir de là, nous avons retourné sans relâche le moindre lopin. Les étages cultivés renaissaient l’un après l’autre et se reflétaient dans l’eau bleue. Notre famille était très croyante. Un jeune prêtre métis et ses assistants venaient tous les dimanches. Pour l’office en plein air il installait son sacerdoce sur un autel de pierre daté d’avant les Indiens. Les ouvriers disaient que cette pierre gardait les démons dans les bois occidentaux. Puis un après-midi de mars, un nuage blanc raya brusquement l’horizon, on perçut un bruit sourd. Quelque part au milieu des arbres une colonne de fumée nous avait guidés. À la pointe ouest du réservoir. Une pierre brûlante était enfoncée entre deux lèvres de terre et de cendres. Tout était carbonisé dans un rayon de huit cent mètres. C’était une roche aux reflets verts veinée de galeries d’aluminium translucide. Les géologues dépêchés par le bureau de la mine n’avaient jamais rien vu de tel. Elle était très dure. Ils eurent le plus grand mal à prélever quelques échantillons. Lorsqu’ils revinrent trois jours plus tard le monolithe avait disparu. Il devait pourtant faire près de trois mètres de diamètre. Le centre du cratère était incandescent. Des bulles remontaient à travers la poussière dégageant une odeur pestilentielle. C’est à partir de ce moment-là que l’on a commencé à avoir des problèmes avec l’eau. Et des incendies. Car la pierre semblait avoir attiré la foudre. Quand arriva l’époque des moissons les fruits étaient d’une grosseur étonnante et les épis pliaient sous le grain. Mais à maturité tout était immangeable. Les pommes et les poires avaient un arrière-goût de plâtre et la farine dans la bouche donnait une impression métallique. On donna tout aux animaux, et les animaux furent malades. Les hommes se mirent à souffrir de mélancolie. L’année suivante les arbres bourgeonnèrent prématurément. La récolte fut gâchée par la neige. Les paysans abandonnèrent à nouveau la vallée. Je restais seul avec ma famille. Curieusement aux abords de la ferme tout continuait à fleurir et à pousser. On commença à trouver de plus en plus d’animaux sauvages morts noyés dans le lac. Des nuages d’insectes tournoyaient sans cesse à la surface et une nuit j’ai senti moi aussi cette eau qui m’appelait. Lorsque j’étais jeune j’avais l’habitude de plonger au pied du barrage. J’ai suivi le chemin avec mon chien qui s’est mis à geindre et s’est enfui lorsque j’ai sauté. Et dans cette eau devenue grise j’ai entendu la voix hennissant avec force depuis les profondeurs en toutes directions. Lorsque je suis ressorti j’étais couvert de cette poussière qui recouvre tout et que nul vent n’emporte. Nous sommes la seule ferme que l’eau n’a pas tuée. Je dois interpréter ce message.
Les hommes blancs sont arrivés toujours plus nombreux. Ils ont emmuré le fleuve. Les hérons se sont envolés. Sont arrivés les corbeaux. Les chevaux dans leur piétinement ont fait trembler la terre. Avant nous marchions dans la beauté. Nos pieds foulaient les plantes qui guérissent. Ils coupent les prairies et les emportent. Ils coupent les prairies avec des fers tordus. Leurs maisons sont faites de crépuscule. Ils ne connaissent pas la piste du chant. Ils ont barré le chemin du rêve. Nous ne pouvions plus jouer dans la rivière. Attraper les poissons. Le blanc croit posséder le monde. Je suis redevenu hibou. J’ai appelé les maîtres des trois tribus. Nous avons chanté trois jours et trois nuits et nos voix se sont rencontrées au bout du lac. Nous avons préparé la fumée. Elle s’est enroulée jusqu’au nuage pour guider la pierre qui traverse. La peau qui fermait la grotte sous-marine s’est déchirée. Les esprits des morts ont repris leur errance. L’automne est la et il ne finira plus. Nous sommes partis. Nous avons emporté avec nous vos histoires. L’ancêtre des blancs était resté seul avec ses enfants. Fils de corbeaux. Nous avons eu pitié. Mais ce soir l’heure était arrivée. Nous avons remis le masque de la grande frayeur. L’eau a repris son appel. La pluie ruisselle le long des feuilles de maïs. Et il y a et il y a et il y a et il y a. Les cauchemars réveillent à nouveau les nuits. Ils partiront bientôt. Les explosifs sont prêts. L’eau repartira.
Ce sont les proches du révèrent Shannon qui l’ont découvert sans vie la tête dans son lavabo. Ils l’en ont sorti avant de tenter de le réanimer, en vain. Lorsque le docteur a constaté son décès, il avait un filet de sang qui coulait le long de son cou. Ses tympans avaient éclaté. Le défunt gisait nu sur le dos dans le salon. Il avait un tomahawk posé sur la partie haute de sa poitrine et un bâton de pluie en travers de la partie centrale de son torse. Un chaman Crow était venu lui rendre les derniers hommages, sans que l’on sache comment il avait été averti du décès .Dix-huit heures après la mort du révèrent, l’eau du lavabo était encore à 34°C, ce qui signifie soit qu’elle était brûlante lorsque l’homme y a plongé la tête, soit que cette eau ne perd pas sa chaleur. Malheureusement, un imbécile de sergent divisionnaire a trouvé malin du vider le lavabo. Tout aussi étrange : aucune trace de brûlure, ni aucune nécrose liée au séjour dans l’eau n’était visible sur visage. Son fils a avoué aux enquêteurs qu’il séquestrait son père depuis deux mois, et qu’il avait tardivement découvert le cadavre. Le révèrent perdait la tête, faisait fréquemment des fugues, et affirmait dialoguer avec de mystérieux esprits du lac. On a retrouvé dans sa chambre une liasse manuscrite où le brave homme conte l’histoire de la communauté dispersée suite à une série d’aléas semble-t-il climatiques, et d’inadaptation des cultures aux sols particuliers de cette vallée volcanique. La famille envisage d’en faire don à la bibliothèque d’Ofrah. Son fils va quitter la vallée qui sera bientôt classée en réserve naturelle, avec ses paysages lunaires si caractéristiques, dont l’aspect désertique a été amplifié par ce que l’on pourrait qualifier de catastrophe agraire accélérée.
La communauté d’Ofrah adresse ses condoléances à son fils George, qui non seulement pleure aujourd’hui le décès du pionnier du peuplement de la haute vallée, le révèrent Shannon, mais doit faire également face à la disparition de sa femme et de ses deux enfants partis faire une excursion en canoë sur le lac dont la digue a été soufflée hier par une explosion. Nous recherchons activement les corps et les coupables. Des écologistes fondamentalistes réfugiés dans la réserve Crow sont fortement soupçonnés. Malheureusement les lois de l’Etat fédéral ne s’appliquent pas en territoire indien. Nous vous tiendrons informé des recherches. Ouvrez l’œil.
Dans la rubrique des « Fait divers »
3 Décembre 2024. Accident de luge. Deux morts.
Sur le chemin des Chapelles, au pied d’un orme, gisaient deux corps inanimés. Sur le bas côté, une luge en bois retournée. La course à une vitesse excessive et le choc contre l’arbre sont sans aucun doute à l’origine de l’accident mortel.
Il faisait doux en cette fin d’après midi de décembre. J’avais décidé de prendre l’air. Je suis sortie bien emmitouflée dans mon lourd manteau, chaussée de mes bottes fourrées. La capuche relevée me protégeait d’un vent léger. J’ai emprunté le petit chemin damé qui grimpe jusqu’à la route des Chapelles. Je marchais lentement, profitant du paysage sublime sous la couche de neige fraîche. Tout à coup, deux individus ont surgi, assis l’un devant l’autre, serrés l’un contre l’autre, sur ce qui m’a semblé être une luge. Ils chantaient à tue tête et criaient à chaque passage de bosse. Je me suis écartée pour les laisser passer. Ils allaient vite, très vite ! Avant que j’aie atteint la crête, j’ai entendu un bruit sec. Quand je me suis retournée, j’ai compris qu’ils n’avaient pas pu éviter l’orme.
Tu me croiras si tu veux, mais sur le chemin des Chapelles, il s’est passé un événement inattendu. Tu sais que j’aime la solitude, le silence, les balades au cœur de la campagne, un prétexte de plus pour prendre des photos. C’était pas plus tard qu’hier, au moment où la lumière commence à décliner. Le soleil n’était pas loin de l’horizon. Tu connais le nom des deux amants dont on parle tant, à mots couverts, dans le village ? Elle vient de la ville, plus jeune que lui. Elle fait tourner la tête à ce pauvre Albert qui lui passe tout. Quelle idée folle leur est passé par la tête ? Imagine les profitant de la grande luge en bois du père Mazet, comme deux grands enfants, glissant à toute allure et riant de leur exploit ! Tu vois la longue ligne droite puis le virage à gauche, comme une épingle à cheveux ? Ils ont dû perdre le contrôle et face au gros orme centenaire… Inutile de te décrire la suite !
Une étendue blanche à perte de vue.
La pente abrupte exposée nord.
Une silhouette apparaît et s’éloigne doucement.
Un bolide fait irruption.
Trajet éclair.
Choc fatal.
Marcelle.
J’ouvre le journal, je suis attirée par le titre de ce fait divers pas banal.
« Elle saute de joie et tombe d’une falaise à Ibiza »
Me voici transportée bien des années en arrière dans cette ile de rêves.
Mais que dit cet article ?
Un jeune bulgare de 26 ans vit et travaille à Ibiza.
Il doit être barman, ou cuisinier dans cette ile de fêtes !
Il est heureux et invite son amie encore en Bulgarie à venir le rejoindre.
C’est une belle intention !
Le jour de repos du jeune homme il emmène sa belle au plus beau point de vue de l’ile.
Léna belle, légère, chantonne de plaisir. Ils s’arrêtent, contemplent la mer du haut de la falaise, S’embrassent et s’enlacent.
Ce jour merveilleux donne l’envie à l’amoureux de faire sa demande. A genoux devant ce beau spectacle il crie : « Léna veux-tu devenir ma femme ? »
La joie intense de la jeune fille, la propulse en l’air ! Elle bascule dans le vide et s’écrase au sol.
Elle ne survivra pas.
D’une si belle histoire surgit un drame !
*
Un fait divers pas ordinaire laisse un doute….
Léna une jeune bulgare depuis peu sur l’ile d’Ibiza trouve la mort au pied d’une falaise, les circonstances sont troublantes.
Son ami de 26 ans également Bulgare explique « j’ai emmené Léna en haut de la falaise à l’endroit que j’aime particulièrement. Elle a sauté de joie et a perdu l’équilibre après que je lui aie demandé sa main »
L’enquête est en cours.
Pourquoi était-elle surprise ? Se connaissaient-ils depuis longtemps ? Pourquoi l’avoir emmenée dans cet endroit escarpé ? Voilà les questions que se posent les enquêteurs.
*
Un drame à Ibiza
Au bas de la falaise, un corps inerte d’une jeune fille, les pompiers essayent en vain de la ranimer.
Près d’elle un jeune homme effondré parle dans sa langue natale « le bulgare »
Difficile de comprendre ce qui c’est passé, les enquêteurs devront élucider ce mystère.
Madeleine
RETOUR AUX SOURCES
Assis au bord du fleuve
un homme fatigué regarde son visage
reflet tremblant et flou
que lui renvoie limpide
le miroir des eaux
abandonnant les mots
qui forment ses pensées
il se laisse entourer
par le flot des nuages
basculant lentement
il glisse dans l’azur
du monde il se retire
conscience des sons purs
jusqu’alors inaudibles
échos vivant de l’être
lumière adamantine
sur les ilôts de sable
un souffle le conduit
libéré de son poids
emporté par les ondes
ondulant et léger
il retourne à la source
et la source se perd dans le feu de la terre…
la lave se calmera
l’eau deviendra liquide
apparaîtra sur terre
l’organisme initial
la vie se déploiera
et
sur le bord d’un fleuve
un homme tentera de retrouver les mots
pour rejoindre le monde
…
UN ROND, ROUGE
Le matin est si doux…
Commencer la journée par une course folle aux abords du lac sera un vrai cadeau du ciel et de la terre !
Le soleil, à peine apparu inonde d’une lueur tendre l’azur encore pâle.
La terre, toujours humide de la fraîcheur nocturne parfume l’air et la senteur douce m’inonde de bonheur.
Jambes et bras dénudés pour éprouver pleinement la sensation de mes mouvements, leur harmonie, je cours. Mes muscles fonctionnent à merveille !
Je trottine avec souplesse sur le sentier qui ondule au gré des reliefs délicats de la prairie.
J’éprouve avec délice l’aisance de mes pas. Chacune de mes foulées me remplit d’une jubilation immense : je suis légère ! Je suis puissante ! Je suis tellement vivante !
Je souris aux oiseaux. Je souris au frémissement de l’eau, aux fins roseaux qui bruissent agités par la brise.
Les cygnes ont laissé quelques plumes immaculées au bord de l’eau.
Traversant le chemin un canard cancane joliment.
Les fleurs dans l’herbe commencent à s’ouvrir. Des gouttes de rosée s’attardent sur leurs pétales. Petites perles cristallines.
Plus loin une voiture au milieu du chemin. Sans doute un promeneur matinal comme moi.
Pour la contourner, je fais sur moi-même un tourbillon. Solaire !
Retombant sur mes pieds je vois dans la voiture un homme allongé derrière son volant.
Sa tête légèrement inclinée vers son épaule gauche. Vers la vitre latérale.
L’homme est très pâle. Bien plus pâle que l’aube.
Au centre de son front, un petit trou. Un petit rond, rouge. Rouge comme le sang.
Un rond rouge entouré d’un fin liseré noir.
L’homme s’est tué !
Il a pris une arme à feu. Il l’a appuyée sur son front. Il a tiré. La balle a fait un trou. Un petit rond, rouge, ourlé d’une fine trace noire. La trace du feu.
Je ne peux plus courir.
Je ne peux plus respirer.
Je peux à peine marcher.
Je vais jusqu’à la route.
Personne ne vient.
A l’aide ! A l’aide ! Au secours ! Sont les mots qui se scandent au tréfond de ma tête. Mais je ne peux les dire.
Un homme s’est tué !
Il s’est tué lui-même !
J’éprouve dans tout mon corps tremblant et lourd le poids de solitude que cet homme a vaincue.
Un révolver appuyé sur le front et tirer, pour fuire la douleur.
Seul !
Un passant rencontré appelle des secours.
Je marche sur le chemin.
Lourde comme une pierre.
Infiniment triste.
Le monde a perdu ses couleurs.
Le petit rond, rouge, sur le front de l’inconnu m’obsède.
NELLY
LA VIEILLE QUI LAISSAIT DES MESSAGES
La rivière va, lentement. Un léger voile de brume déposé sur l’eau laisse deviner des bateaux, anciens, dont les mâts surgissent dans la lumière du soleil levant. Des tonneaux aux couleurs de vendanges entassés sur le pont, des cordages soigneusement enroulés suggèrent le temps passé. Avec nostalgie. Une athmosphère empreinte de poésie qui lui aurait plu.
Sur la place du village, légèrement en surplomb, personne pour s’extasier. Quelques personnes sont rassemblées là. Leur visage marqués par l’émotion révèle leur émoi. Chacun témoigne, commente, s’étonne. Se tait.
Tu sais, elle me plaisait bien cette vieille femme. Toute frêle dans ses robes fleuries, son chapeau fané, ses bottines bien lacées. Et, toujours son petit sac à la main, compagnon désué de tous les temps. Je la trouvais… printanière. J’aimais ses petits poèmes écrits à la craie, discrets, sur le dossier des bancs. J’aimais découvrir ses petites traces pudiques. Je me souviens de
vieux saule torturé
accroché à la berge
oh! ton bruissement
C’est beau, non ?
Le dernier que j’ai trouvé, c’était hier
longtemps appuyée
oubliée contre un arbre
seul les oiseaux chantent
Elle devait se sentir seule, peut-être…
Comme toi, comme moi parfois. Ou plus ?
Un jour elle m’avait dit,
je voudrais mourir poétiquement
Je crois qu’elle a réussi…Tout simplement.
Il sait que les obsèques seront civiles, mais le curé du village tient à faire revivre ce petit moment d’émotion qu’il avait eue au printemps dernier grâce à la vieille femme. Il a ressorti une petite page de carnet, rose, en forme de coeur. Il l’avait trouvée collée à l’emplacement du coeur, justement, du beau Christ de bois blanc appuyé au pilier de la nef. Dessus était écrit
croyez, ne croyez pas, mais aimez.
Vraiment
Elle avait suivi le contour de la petite page de son écriture encore fraîche. Il avait aimé ce geste plein d’audace, de sensibilité et d’amour, sans doute.
Il avait médité sur ses mots.
Il va les remettre avant l’office, à la place qu’elle leurs avait choisie.
Je vais sur le chemin qui longe le ruisseau. Je pense à la vieille femme. Je connaissais ses mots laissés, son écriture posée, ici ou là… J’imagine ses pas ce matin, sur ce même sentier. Combien de détermination ou d’oubli, lui a-t-il fallu ? Je la vois descendre la pente herbeuse le long du petit pont de pierre. Elle a posé son chapeau, fané, son petit sac, désué, puis elle s’est allongée sur le lit de sable fin. Elle s’est laissée submerger par le courant d’eau claire. Peut-être a-t-elle souri comme font les princesses dans les contes de fée ?
Son dernier message est posé non loin de là, sur un vieux banc de bois
on est bien peu de choses
et mon amie la rose
me l’a dit ce matin
Cela se chante.
Je vais jusqu’à son dernier lit. Il n’y a aucune trace de la vieille femme. L’eau claire poursuit son cours sur le sable doré.
Le lendemain, dans le journal local un petit article :
Les pompiers sont intervenus hier matin sur la commune de S.
Il n’ont pu réanimer une femme, Clémence Morin âgée de 85 ans, qui était tombée dans le ruisseau.
RABELAIS ET LES AUTRES
L’autre soir au Narbey
j’ai écrit quelques mots
tentant un coq à l’âne
je me suis fouvoyée
quand je relis mes phrases
quel ennui ! quel ennui !
Voulant me divertir
à pieds joints et joyeuse
je saute sur ma table
et m’empare des livres
je refais les voyages
et ça va où ça veut
Hildegarde à Mayence
qui chante des louanges
Georges Perec à Paris
sur la place Saint Sulpice
Michel désabusé
sur les plages de Galway
moi qui vais sur mes plages
avec pour seuls vêtements
le soleil et le vent
Modiano qui recherche
ses pas dans le quartier
l’école a disparu
il ne la verra plus
les pieds nus dans les flaques
réchauffées
et le sel
sur mes lèvres asséchées
les lettres de Rainer Rilke
Florence, Prague, Rome ou Munich
et pourquoi pas Sublaines
au fin fond de la Touraine
minuscules douloureuses
les vies de Pierre Michon
les flots qui dansent
qui claquent
Fait divers
La voiture devant lui ne roulait pas vite. Cela l’agaçait mais il n’arrivait pas à la doubler. Pourvu qu’elle ne tourne pas à gauche au feu, comme ça bon débarras. Ces conducteurs du dimanche c’est franchement énervant ! Le feu est au rouge—c’est rouge !—ROUGE !!! ma parole, il dort ou quoi—il n’a pas vu que c’est rouge !!!
Verdict de la biopsie—cancer des poumons !!! —Un coup de poing magistral dans l’estomac !!! Nous nous regardons dans les yeux lui sur son lit d’hôpital, blanc comme un linge, moi debout au pied du lit. Je vois la panique s’emparer de son regard et mes yeux lui renvoient la même chose…Comment est-ce possible ??? Cela fait 25 ans qu’ensemble nous avons arrêté de fumer !!! Je monte dans ma voiture, je conduis comme une somnambule. La voiture a l’air de connaître son chemin, un peu comme un cheval qui prend tout seul le chemin de l’étable. Puis—c’est le trou noir…
Collision entre 3 voitures à Saint Avertin carrefour Quai Carnot – rue de Rochepinard. D’après des témoins, la conductrice du Scénic, âgée de 48 ans aurait grillé le feu. Elle a du être hospitalisée à l’Hôpital Trousseau. Ses jours ne sont pas en danger. L e conducteur du Nissan qui l’a heurtée était fortement choqué mais heureusement que légèrement blessé. Le troisième véhicule en voilant éviter la collision a heurté le trottoir et ne présente que des dégâts matériels.
Les anges déchus
Ils arrivent de loin. Ils voyagent sous des noms d’emprunt. La plupart portent des noms en ailes, et lorsqu’ils tombent, c’est de haut. Celui-ci, c’est Judicaël. Maussade messager, Il a raté le dernier train de nuages. Son billet de retour pour les étoiles a brûlé dans l’espace d’un instant, et visiblement, ça l’ennuie. Le soleil n’est plus qu’une tiède illusion, et la lune si douce se mire avec délectation dans les eaux grises, œil vitreux sur la face de cendres de ce ciel sans planètes. Il est seul. Il est au désespoir.
Le désespoir est assis sur un banc. Si par malheur vous vous en approchez, il vous prend dans son regard, et vos paupières tombent comme des pétales fanés. Dans le soir mélancolique où s’égrènent les heures, les instants se dilatent. Il porte un costume gris. Il rappelle dans son ombre des souvenirs irrémédiables. Un chien maigre et tremblant hésitait à vous suivre en quittant la maison où vous étiez venu vous recueillir à la mort de votre père. Haute carcasse de courants d’air qui semblait se mouvoir sur des talons aiguilles. Mais vous n’avez pas tenu votre promesse. Cet animal aux grands gestes de femmes perturbait vos habitudes solitaires. Un mercredi, vous avez pris congé, juste avant les vacances. Vous l’avez confié à la garde d’un chenil en campagne.
-« Avez-vous bien réfléchi, Monsieur ? Cet animal est habitué à votre compagnie. ». Il s’était retourné en partant docilement au bout une autre laisse, d’une main ferme et inconnue, un peu grasse, de cette dame en blouse aux mollets rebondis qui lui avait flatté l’échine. Il s’était retourné comme pour un dernier adieu et il avait planté dans vos yeux ce regard d’angoisse et de reconnaissance. Il vous avait observé un court instant comme on regarde par-dessus ses lunettes, mais vous n’avez rien fait. Si vous aviez souri à ce moment-là, si vous l’aviez appelé par son nom, peut-être aurait-il tiré sur sa laisse. Peut-être serait-il venu poser ses longues pattes sur votre pantalon, son long museau dans le creux de votre aine. L’ange du désespoir est assis sur un banc. Il veille sur vos abandons. C’était le chien de votre père. Il vous poursuit dans la nuit. Vous ne pouvez plus revenir en arrière.
Les anges sont invisibles à l’œil nu sauf lorsqu’ils ont une révélation, alors ils apparaissent aux hommes pour leur donner des nouvelles. Dieu, grand confusionniste, sort des anges de son chapeau pour les grandes occasions. Le nommé Judicaël porte une couronne. Il doit être important, il a de l’envergure.
Il s’est retrouvé prisonnier du visible et songe au paradis. Il partage notre commune malédiction. Le seigneur l’a mis au travail avec un apprenti, jeune angelot perché sur une meule. Comme nous il devra se laisser avaler par le temps qui jamais ne s’arrête. Dans de grands épuisements, il essuiera d’un revers de sa manche la sueur qui perle au front des travailleurs. Son regard s’usera à la chandelle des journées, parmi les gerbes d’étincelles, aux forges de Vulcain. Il partagera les chaînes qui brisent les chevilles. Il ne comprendra plus rien au destin, âme de la machine. Les outils useront ses délicates mains. Dans le bruit de ce monde il oubliera la voix du créateur.
Il a une âme de gardien, c’est sa nature. Mélange hypocrite d’un peu d’éternité et d’un quotidien ordinaire. Des humains il épouse la fortune et les déconvenues. Il veille sur les descendances. Jéhovah l’a viré des armées secrètes et célestes. Il doit maintenant trouver un emploi. Comme tous ses congénères il aime les oiseaux. Il parle leur langage. Il aime la lumière qui lui vient de son père. Alors, il se présente pour une place, au large des côtes de Cornouailles, on recherche justement un gardien de phare pour veiller sur les traversées maritimes. Il fera l’affaire. On le recrute. La nuit, on croit le voir tourner autour de la lanterne. Ses larges ailes jettent une ombre diaphane sur les flots. Dans la partie sombre du signal sa silhouette semble celle d’un dragon. Mais un malheur arrive. L’ange gardien du phare aime trop les oiseaux, ses frères minuscules. Lassé de voir les cormorans et les pétrels se briser les os sur les vitres de la hune, aveuglés, affolés par la torche, un soir, il a éteint. Dans la nuit de tempête huit marins ont sombré. Le fantôme du capitaine est venu lui faire la morale. Il a démissionné et remit pied-à-terre. Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
L’ange des insomnies compte les comètes sur le bout de ses ailes. Il en tient la liste. Peu de comètes dans un siècle. Les nuits sont longues. Cela lui laisse du temps pour la géométrie au bord du lac d’Annecy où poussent des framboises. Cet ange buissonnier invente les fractales. Dans chaque monde, une semblable miniature, un bourgeon. Dans chaque ange, un autre chérubin. Dans les fondations de la cité de Dieu dorment les grands nombres. Les premiers, que nul ne divise si ce n’est l’unique. Les chiffres qui rassemblent mais qui jamais ne se ressemblent. Le christ est descendu à la dernière station. L’histoire peut commencer.
FAIT DIVERS VUS PAR ET COMMENTE PAR PLUSIEURS PERSONNES
Il y a trois jours, des milliers de téléspectateurs ont assisté en direct à un événement peu banal dont on parle encore partout sauf à la télé ; tous les téléspectateurs ont été touchés quelque soit leur milieu. Twitter déborde de commentaires …
« T’as vu la meuf ! j’y crois pas… On lui a filé des tunes : fallait pas qu’elle cause ! »’
« Ah ! c’était spectaculaire et effrayant à la fois ! I m p r e s s i o n n a n t ! Une si jolie femme! Incroyable! Ma gorge se serre…”
“A force de raconteur des bobars, elle a eu une overdose!”
«ça alors ! jamais j’aurais cru que ça pouvait arriver ! ça alors ! jamais… »
« Moi, un jour, j’suis tombé dans une piscine vide … la nuit ! eh bien, j’ai eu tellement peur, ça m’a fait le même effet ! »
« Quoi t’as avalé ta langue ?!!! et alors ? »
« On ne nous dit pas tout ! ça fait trois jours et motus sur la chaîne. Si ça se trouve, des djihadistes sont entrés dans le studio et l’ont braquée en direct et … nous ! nous n’avons rien vu ! mais eux, les journalistes ils pètent la trouille »
« p’t’ête. Oui, ça fait trois jours. Moi, j’crois qu ’c’est une meuf qui s’dope. La télé ça sature. T’es sur les nerfs. »
« c’est sûr, sourire, toujours sourire : Mesdames Messieurs, un avion s’est craché dans le Pacifique. Sourire !… Le Roi du Rock a fait un infarctus. Sourire ! Le typhon arrive sur les îles au large de Madagascar. Sourire. A la fin normal ! elles en ont ras le bol de débiter tous les malheurs. Elle s’est dit, si c’est toujours pour filer le bourdon aux gens, j’arrête. Fini, celle là je ne la dirai pas !. La pauvre, elle n’a pas trouvé d’autre moyen pour faire triompher ses idées. Sinon, ça ne serait pas passé en accident du travail et elle se serait fait virer !
« Il y a tellement d’horreurs qu’on pourrait bien tous en perdre la parole ! »
« Avaler sa langue en public ! il faut le faire ! c’était pas du courage, non ! elle roulait des yeux !… Sûr qu’elle était la première surprise ! »
« je pense que cette personne souffre d’un traumatisme vécu dans l’enfance, lié à la parole et que l’information qu’elle avait à transmettre avait un lien qui a réveillé son subconscient. »
« une femme qui se tait comme ça brusquement ! Tout le monde en rêve ! Elle a du recevoir plein de propositions intéressantes, je la soupçonne de prolonger le jeu. Elle y trouve son compte ! »
« qu’est-ce que j’pourrais bien trouver pour faire taire ma femme ? »
« j’espère que ce n’est pas contagieux. Je me suis renseignée, le vaccin n’existe pas. C’est comme si les journalistes évitaient d’en parler. Il y a peut être d’autres cas. .. Une maladie de journaliste… ils ne veulent pas que ça se reproduise en direct … ? »
« et puis aussitôt le noir et une autre speakrine tous sourires. Veuillez nous excuser pour ce petit incident ».
Sourire.
Tu parles ! »
Muguette
MELANCOLIE (d’après une gravure de Dürer de 1554)
Rayons de soleil sous un arc en ciel. Un grand faisceau lumineux—cela me fait penser aux images pieuses du Saint Esprit, mais il y a un hic…sur les images pieuses la lumière descend vers la terre et l’enveloppe de ses rayons chaleureux. Ici elle monte vers le haut sur le côté gauche…la terre privée de la lumière sacrée ?…plongée dans les ténèbres ?
Un grand sablier accroché sur le mûr d’une bâtisse. A sa gauche une balance, à sa droite une grande cloche reliée à une grosse corde.
Le sablier … le temps qui passe… toujours à la même cadence. Toujours à la même ??? Parfois j’en doute fortement ! Il y a des instants qui peuvent durer une éternité ; comme il y a des heures qui semblent s’envoler en quelques secondes ; et puis il y a des moments où le temps paraît s’être figé.
La balance… la justice ? L’équilibre du monde ?
La justice… capable de prononcer des jugements toujours justes ? Ne donne-telle pas de temps à autre l’impression qu’il y a deux poids, deux mesures dans certains de ses verdicts ? Et ce qui semble juste à l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. Etre juste et équitable n’est pas chose facile !
L’équilibre du monde… chose illusoire !!! Rien qu’à écouter les informations cela me donne la vision d’un monde chaotique. De plus en plus de guerres se répandent sur notre planète, chômage, précarités, violences etc. etc. .. Mais est ce qu’il n y a vraiment que du négatif à relater ? Chaque chose a bien deux faces ! Pourquoi parle-t-on si peu de belles choses, d’évènements heureux ; cela aussi existe pourtant !
La cloche… j’aime les cloches, les cloches de toutes sortes… le carillon dans l’arbre qui tinte au gré du vent ; la cloche qui sonnait la récréation ; celles qui appellent les fidèles pour la messe ; celles qui carillonnent joyeusement pour un mariage. Mais j’aime aussi le son sourd et mélancolique de celle qui annonce un enterrement et qui me procure à chaque fois des frissons.
La cloche reliée à une corde… cette corde attire ma main, me donne envie de l’actionner, curieuse de voir qui m’ouvrirait sa porte…
Proposition n°5 « la mélancolie d’après le tableau de Dürer »
Le gris est mélancolie
Ni noir
Ni blanc
Fade d’envies.
Ni maladie
Ni état d’esprit
Vue de la vie
Ni ange, ni démon
Absence de raison
Bougie en pleurs
Compagne du cœur
Attente du soir
Retour du noir
L’incertain
Du lendemain
L’enfant courbé
Du poids de l’ennui
La bête se meurt
Et n’a pas peur
Plus de joie
Plus de cris
Même plus l’ennui
Tout est gris
Mélancolie
Elle s’apprivoise
Vient en sournoise
Elle te libère
T’as plus de repères
C’ n’est pas galère
T’es sur terre
Entre deux airs
Ange ou démon
Sans raison
Sans raison
Du goût de la vie
La couleur
Sans chaleur
De l’infini
Mélancolie amie
Mélancolie ennemie
Mélancolie
Humeur de la vie
Bile noire t’es pas cafard
Mélancolie, je me marre
Ni blanc, ni noir
Je me barre
Loin de toi
Je vis, je prends mes envies
Je fais ma vie
Madeleine
La mélancolie I….
Eve
s’ennuie au Paradis
Tout est permis sauf ce dont elle a envie
Elle a soif de connaissance
Et la voilà qui s’étiole
Devant les fruits gorgés de sève…
Elle a tout essayé
Depuis ce matin
Sur la table elle a posé
Le tissu de satin
Du rêve plein les yeux
Un coup de ciseaux malheureux
Incapacité dépit
mélancolie
Le joueur
s’entraine sur son ordinateur
Recommence dix fois
la même énigme
et reste coi
C’est l’abime
Tout est gris
La pluie
Pourquoi la pluie
Il avance et ne voit rien
Les flaques succèdent aux flaques
Il enjambe
Et toujours une autre flaque
Flac flac flac
Pourquoi l’a-t-il quittée ?
Un filtre magique
Pour le ramener ?
Une lettre
Une visite ?
Le temps ne la console pas
Rien n’est juste sur cette terre
« c’est un mardi,
vers quatre heure de l’après midi
au mois de février
dans une cuisine
une bonne est humiliée
au fond d’elle-même quelque chose d’intact
vient d’être abimé
saccagé »…
Ils se sont retrouvés
Dans un atelier
Leur main a couru sur la feuille
Sans savoir où elle allait
Sans savoir ce qu’elle faisait
Mémoire ancestrale
Viscérale
Réunis un instant dans un même langage
Le conte dit
Que le tout petit
Dans le ventre de sa mère
Sait tout
Tout ce qui est caché
Que l’ange
Au moment de la naissance
Pose son doigt
Sur ses lèvres
Pour qu’il garde le secret
De la connaissance
Et qu’après il oublie
Et passe sa vie à chercher
Paumé et seul
Dans la rue
Banal
Peut être que tout là haut
Dans la lumière
Son ange l’a vu
Et l’imite
Son ange gardien
Qui l’attend
Qui attend
Qu’il grandisse
La cloche du collège
Sonne
C’est l’heure
De passer à table
Le réfectoire sent le moisi
Une échelle pour monter
Une échelle pour cueillir
Les raisins de la treille
Se chausser de semelles épaisses
Pour ne pas se faire sauter l’astragale
Les raisins sont malades
Il faudra recommencer
Au printemps
Se soigner
Soigner la treille
La nuit étoilée dans le désert,
Blotti contre le rocher
Une longue fissure
Obscure
Noire et mystérieuse
Les chauves souris
Volent la nuit
L’angoisse de l’inconnu.
Réussirais-je à marcher assez vite ?
Réussirais-je à suivre les autres ?
Réussirais-je à suivre mon propre chemin ….
Que je me sens petite !
Mélancolie, cafard, ennui
Araignée brouillard bourdon
Tourtour le village dans le ciel
La lumière
Le passage l’ombre le labyrinthe, l’espoir,
l’hésitation, le piège, l’océan , la profondeur, l’immensité,
L’interrogation, l’inquiétude, la lourdeur, la peur, le désespoir.
Aveuglent …
Le plongeon et l’inconnu
Muguette le 13 février 2015
MELENCOLIA
Quel désordre !
Ça sent le départ…des objets épars, des êtres abattus, un chien triste. Méli-mélo. Exode ?
Le compas, légèrement ouvert, sans doute avec précision, oscille. Il est maintenu par l’une de ses pointes, comme dans un songe, par un ange. Les ailes repliées, il semble fatigué. Humeur sombre. Regard absent. Même les anges éprouveraient-ils du désarroi ? Eux aussi ont peut-être envie de rester chez eux…
Le sable s’écoule grain à grain d’une bulle dans l’autre indiquant le temps qui passe. Est-il possible d’imaginer un autre réglage ? Le sable s’écoulerait plus lentement et le cours du temps s’en verrait ralenti. Ou l’inverse, on pourrait accélérer la chute des grains de sable et du temps. Il n’y aurait plus à se soumettre à un temps qui n’est pas le nôtre. Notre temps psy-cho-lo-gi-que. Notre humeur en serait sans doute très améliorée.
Ah ! C’est pas possible. Tant pis.
Aucun oiseau n’est venu visiter le ciel. Nul chant, nul cri dans l’espace. C’est étrange cette absence. Comme une absence de vie, un silence trop calme. Une menace peut-être ? Et la tête bouclée du putto qui plie tristement sous le poids du doute.
Chaque barreau de l’échelle rapproche des étoiles. Pied sûr, main sûre. Gravir sans faiblir. Dépasser le connu. Découvrir un air si pur que les poumons s’en trouvent dilatés. Se sentir immense et léger. Invulnérable. Lumineux. Caresser les cieux. Et après ? Revenir sur terre, mi-ange mi-bête. Homme tout simplement. Porteur de sa mélancolie.
La caresse voluptueuse de la jupe de lourde étoffe soyeuse. Le vêtement éguise la sensation du corps. La femme s’y sent chez elle. Mais, elle est seule chez elle. Tristesse.
1514. un an avant 1515.
il était où Dürer quand François 1er était à Marignan ? Avait-il sombré dans sa Melencolia ?
Atteindre la perfection. Réaliser la sphère parfaite. Et après, que faire ?
Faire rouler la boule, au risque de la perdre ? Non, ça n’a pas de sens.
Ce qui a du sens, c’est sa fabrication. Après, c’est le vide, la chute. Parfois, c’est ainsi que commence la mélancolie.
Oh ! Ne jamais atteindre la perfection…
Nelly
La barque solaire
Rappel des épisodes précédents :
La police fédérale a entendu puis relâché le fils du révèrent. Ce dernier a été retrouvé noyé dans sa chambre. Le décès remontait à plusieurs jours. La victime se serait donné la mort en se plongeant la tête dans un lavabo. Malgré les doutes, le permis d’inhumer a été délivré. Les accusations de maltraitance portée contre le fils n’ont pas été suivies par le Ministère public, eu égard à la démence évidente du bonhomme. Des rumeurs persistantes évoquent des rituels de sorcellerie Crow à l’origine du dépérissement des cultures dans cette vallée. Cela mettait le révérend au désespoir, la famille n’ayant plus d’autre choix que d’abandonner des terres devenues incultivables. Le barrage du lac d’Ofrah vient d’être dynamité. On craint d’avoir à constater le décès de la belle-fille du révérend et de ses petits-enfants partis en promenade dans cette zone au moment de l’explosion.
Extrait du journal du révérend Shannon retrouvé dans la chambre du défunt, et remis à la bibliothèque d’Ofrah :
12 avril 1896.
Il fait une chaleur suffocante. Nous n’avions jamais connu de telles températures, et surtout une évaluation aussi brutale. Un phénomène étrange s’est produit. Le jour s’est levé d’un seul coup. Nous ne possédons pas d’horloge, mais je dirais que dès huit heures, le soleil était à son zénith. De l’aurore à midi les ombres ont raccourci en un instant. Les chiens étaient terrés sous la tonnelle et grondaient. L’air était lourd comme une chape de plomb. Au loin on entendait le troupeau pousser des beuglements lugubres. Le ciel était vide d’oiseaux, la luminosité insupportable. Le temps semblait comme arrêté. Nous nous sommes rassemblés à l’abri dans la grange. On a formé une chaîne pour arroser le foin qui montait en température. Je crois que nous avons bien fait. Le toit de la réserve à outils a pris feu, semble-t-il, spontanément. Les herbes jaunies, les chaumes, se tordaient dans la terre rougie comme une barbe irritée. Le vent brûlant tourbillonnait. Après quelques heures j’ai décidé de descendre le troupeau se rafraîchir au lac. Les bœufs arrivaient à peine à avancer. Nous avons perdu trois bêtes, noyés. De nombreux cadavres d’animaux sauvages flottaient à la surface. Certains n’eurent même pas la force ou le courage de s’enfuir de la berge à notre arrivée. L’eau était tiède et noire. Et, aussi brusquement que le jour, la nuit est arrivée. Une éclipse brutale et totale. Au loin dans la montagne on a entendu un sifflement suivi d’un choc sourd. Une colonne de fumée éclairée par des flammes s’élevait au milieu des arbres. Une météorite venait de traverser l’atmosphère pour se ficher dans l’argile à l’extrémité est du lac. Nous l’avons découverte le lendemain à l’aube. Je me demande si je ne suis pas en train de perdre la raison.
12 mars 395 lycée technique d’Héphaïstos.
Le jeune phaéton ne tient plus en place. Il a rendez-vous avec son père Hélios perdu de vue dans la nuit des profondeurs, enlevée par sa mère l’Océanide Clyméné. Il pratique la soudure sous-marine. Il est en BEP. Il espère voyager plus tard. Les plates-formes pétrolières balisent les océans. Il habite avec sa mère une confortable alvéole proche des falaises d’Héphaïstos. Il est romain, mais sa famille s’est installée en Grèce depuis deux générations, et ils ont adopté la langue du pays, les arts, et même la musique. C’est un exemple d’intégration réussie, pour un temps. L’empire s’étend par assimilation et alliances commerciales. Ce jeune demi-dieu, noblesse des nations, fut pourtant un jour sommé de prouver son origine aux camarades de sa promotion pour justifier de sa place réservée aux prochaines olympiades. Phaéton décida alors de prendre le risque de revoir son père.
23 mars 395. Palais Héliopolis.
– Salut à toi, Soleil, père toujours admiré
– Assieds-toi, mon fils. Je t’ai préparé une soupe d’électrons bien chaude. Tu as une petite mine sous tes lunettes teintées. Il faut absolument que tu retrouves ton énergie primordiale. Un petit séjour chez papa et tu repars en forme pour des siècles. C’est garanti.
– Je comprends que tu veuilles prendre les choses avec légèreté, mais si je suis monté te voir après toutes ces années, c’est que nous avons quelques choses à régler, tu ne crois pas ?
– Et bien parle mon fils, je te suis attentif.
– Te souviens-tu de ce jour où, enfant, dans le brasier de ta présence, j’ai demandé de l’eau pour la première fois. Comment ce soir-là tu m’as soulevé du sol pour aller me poser au bord de la première année lumière. Le petit enfant que j’étais n’a pas compris sa faute. J’ai alors ressenti toute ma nullité. Et pourtant je t’ai admiré, père. Tu me traitais selon ta nature. En recourant à la force, au bruit, à la colère. Tu voulais faire de moi un garçon plein de force et de courage. Mais tu n’as jamais rien fait pour me donner confiance en moi. C’est pour cela que ma mère me voyant dans ton ombre brûlante m’a emporté. Maman et toi c’était comme le feu et la glace. Le jour où elle m’a enlevé, tu m’as juste regardé de loin et tu m’as dit : « fais ce que tu veux, tu es libre ». Tu m’as enseveli sous la culpabilité.
– Ça devait finir comme ça. On n’était jamais d’accord sur rien avec ta mère. Et puis il me semble que ton éducation n’est pas autant souffert de mon absence.
– J’ai mis un voile d’oubli sur mes regrets d’enfant. Si je suis venu te voir, père, c’est pour retrouver confiance. Les mortels ne cessent de se moquer de moi. J’ai une faveur à te demander.
– Je t’écoute. J’exaucerai ton vœu quel qu’il soit.
– je voudrais que tu me laisses conduire ton char solaire et que tous me voient à la commande. J’imagine déjà leurs mines lorsqu’ils me verront au ciel en majesté. C’en sera fini pour longtemps des quolibets. Ils sauront enfin à qui ils ont à faire.
– J’entends ta demande, mon fils, mais c’est très dangereux. C’est une bête de course ce char. Et je ne suis pas bien sûr que tu maîtrises la situation.
– Ne manque pas cette occasion de te racheter, père. Tu m’as toujours menacé de courir à l’échec. À tous propos. Et mon respect pour ton opinion est telle que le résultat a toujours été inéluctable. Je n’ai jamais été à la hauteur du demi-dieu que tu attendais. Laisse-moi faire la preuve de ma seconde nature.
– je ne reviens pas sur ma parole. Mais je te demande de réfléchir quelques temps. Réfléchis bien .
12 avril 396. Cabinet du préfet d’Héliopolis.
– La rencontre entre l’adolescent et le risque ne peut être évité. Il avait besoin de faire des expériences. Les sensations fortes pouvaient l’aider à faire des choix. Vous n’avez pas à vous reprocher votre attitude. Comment s’est passé son départ ?
– Il n’a pas voulu en démordre. Il était en admiration devant le char. Faut dire, un Oméga 666 intérieur cuir avec 18 chevaux. Tout terrain avec un treuil à comètes à l’arrière et une lame antiproton. Vitre teintée. Une beauté. Nous nous sommes mis d’accord sur l’heure d’arrivée et de départ mais il n’a rien voulu me divulguer de son projet d’itinéraire. Je lui ai proposé un GPS. Il s’est moqué : « et pourquoi pas un gilet pare-balle et un garde du corps tant que tu y es ? J’ai plus huit ans !». Pour lui les constellations étaient comme ses dessins d’enfants où l’on fait apparaître une à une les figures en reliant des points. Il ne savait pas qu’elles étaient vivantes et si dangereuses. Il a quand même accepté de mettre son casque. Et puis c’est devenu catastrophique. Il n’a rien maîtrisé. Il s’est approché dangereusement de la terre où des incendies se sont déclarés. Puis il a été immobilisé au milieu des constellations, pris en tenaille entre le scorpion et le Sagittaire. Le cours des planètes était inversé. Je comprends que Zeus soit intervenu. Il a bien fait les choses. Quand il est venu me prévenir, il avait déjà engagé deux boules d’or dans le magasin de sa carabine à neutrons. Il l’a abattu d’une seule balle. Phaéton s’est immédiatement pétrifié. J’ai vu sa chute à l’horizon. Je ne pouvais pas exiger de Zeus le désordre. C’est ma faute.
12 avril moins 653. Palais du pharaon. Haute Égypte.
Khephren. La construction de la troisième pyramide vient de débuter. L’emplacement a été déterminé par la découverte d’une météorite marquée du signe de Hamon-Ré à proximité du Nil. Selon la légende le fils de Hamon-Ré avait dérobé la barque solaire était parti à la dérive dans les étoiles. Son oncle avait été obligé de l’abattre en plein vol. Au grand regret de sa mère Osiris. Le jeune enfant était tombé du ciel sous la forme d’un astéroïde enflammé. La légende a désigné l’emplacement de la troisième pyramide comme lieu de sa sépulcre. Les sept plaies d’Égypte se sont abattues pendant le règne qui suivit.
Extrait du journal du révérend Shannon.
8 janvier 1900
Les mythes éternels résonnent dans l’histoire des hommes. Les vagues vont et viennent. Le hasard n’a plus sa place lorsque les dieux se reprennent à rêver. Et les hommes continuent à scruter le ciel, pris dans de grandes inquiétudes. Ce soir, à mon prêche, j’instruirai les fidèles sur l’épisode de l’exode. Voici que vient l’ange de la mort, et il emporte les derniers nés.
La physique quantique apporte la preuve de l’ubiquité des possibles. Le récent article de ce jeune réfugié juif m’a bouleversé. Le seigneur pourrait ainsi dans le vent des particules incertaines sauver les hommes qui vécurent en des temps reculés, hors de sa douce révélation.
« Alors s’accomplit ce que le prophète Jérémie avait annoncé :
On a entendu des cris à Rama, des pleurs et de grandes lamentations: c’est Rachel qui pleure ses enfants et n’a pas voulu être consolée, parce qu’ils ne sont plus là. Après la mort d’Hérode, un ange du Seigneur apparut dans un rêve à Joseph, en Egypte, et dit: «Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère et va dans le pays d’Israël, car ceux qui en voulaient à la vie du petit enfant sont morts.»
Ma petite belle fille veut emmener les enfants au lac. Je sais qu’elle ne le doit pas. Voici que vient l’ange de la mort, et il emporte les derniers nés.
Proposition 6 : Madeleine
Amour- Désir-Risques et variétés..
Tout ce qui brille n’est point or
Venus de chez Dior
Femme élancée
Au cou doré
De son voile parfumé
Envoûte l’étranger
Éperdu, tout ému
Il est nu
Calamité de la santé
Il a oublié
*
Élixir
Venus Adonis
Culte du pénis
*
Filtre d’amour
Boire toujours
Répandre autour
*
Phaéton aux rênes
Se prend pour Hercule
A son passage les astres basculent
Dominé par son Char du Soleil
Zeus le plonge dans le sommeil.
*
Mourir d’aimer, les draps s’en souviennent encore, à quoi ça sert l’amour,
s’il faut mourir un jour…allumer le feu….
DEPART !
Seize ans !
Première rencontre. Première fois.
Premier contact.
Sa main glisse sur l’assise de cuir noir. Les chromes étincellent. La peinture rouge feu de la carrosserie brille comme dans ses rêves.
Il enjambe la machine. Tourne la clé. Le moteur ronronne, comme un jeune animal. La main sur la poignée enclanche le mouvement.
Départ !
Ses cuisses serrent la moto comme elles le feraient sur une bête nerveuse. Il s’incline épousant la forme de sa monture. L’engin est sous son contrôle. Ils font corps.
Pas d’armure. Il est parti comme nu sur un cheval sauvage.
Sur la route qui gravit et pénètre la montagne vers l’est, il s’engage. C’est à elle qu’il a fait secrètement sa première promesse. Je gravirai les cols. J’irai jusqu’au sommet. Je basculerai lumineux comme un Dieu sur son char éclatant. J’irai dans des pays rayonnants de couleurs de lumière de musique et de filles.
Il sent la légère vibration du moteur bien huilé. Sous son pied, la pédale réagit à merveille. Sa chevelure libre est fouettée par le vent. Sur son torse sa chemise colle à sa peau chaude de volupté. Sur son visage glisse l’air des sommets. Vivifiant et léger il remplit ses poumons et l’enivre.
Conquérant il sourit. S’incline dans les virages. Le genou presque à terre il ondule épousant les courbes de la route.
Le soleil étincelle. Les sommets lumineux claquent sur le ciel bleu.
Départ !
Il vibre de sa fièvre d’enfant.
Il vibre de la rage qui est entrée en lui quand il avait cinq ans.
Quand je serai grand j’irai en moto dans tous les pays du monde…
Et son père avait rit !
Puissant comme un jeune fauve, fougueux comme un fils moqué, il hurle son beau rêve à la face de son Père.
Départ !
Les 99 commandements au poète
1 – Convoque un auteur sur les pistes noires de l’écriture. Laisse le dévaler dans son style la pente de tes histoires. Observe la trace.
2 – Raconte à ta manière ses contes, ses regards.
3 – Présente lui des invités, des invisibles.
4 – Accompagne les dans de vastes jardins d’écriture, accessibles, offerts aux cueillettes. Donne leur des sujets d’échange.
5 – Aime raconter des histoires faites de rencontres. Raconte la vie des gens.
6 – Aime par les mots.
7 – Vivre de sa plume. Déraisonnable espoir même si grande ambition, peu de chances de succès. Tu peux toujours rêver.
8 – Publie à temps. Livre à l’heure. De la discipline.
9 – Espionne sans relâche. Vois par ces yeux innombrables, et dans ces voix, trouve ta route.
10 – Sauve ta langue avant qu’elle ne s’étiole. Tu l’as assez tournée.
11 – Parle de tes rêves. Nos mondes rêvés nous révèlent. Écris tes réveils minuscules.
12 – Joue avec les mots des autres. Poursuis le pillage dans la langue de l’empire, puis passe la frontière.
13 – Tente ta chance. Il s’en trouvera toujours quelques uns pour te comprendre. Enfin.
14 – Fais toi des illusions. Tente de les partager. Crois à la magie des hommes en ce qu’ils se recherchent entre eux.
15 – Prends le train. Le bras à la portière de la voiture, laisse les feuilles s’envoler. Change d’air.
16 – Qu’il pleuve. N’avoir pas mieux à faire. Regarde par la fenêtre et souviens toi.
17 – Parle à ceux que tu as aimé. Parle leur en rêve, et saisi ces paroles au vif.
18 – Mets un manteau de silence sur la braise des mots, sur les voix intérieures. Tiens ta langue au chaud.
19 – Crois que c’est dans ta nature. Assied toi sur cette idée. C’est plus confortable.
20 – Trouve des motifs de révolte. Écris pour tes idées.
21 – Pars d’un détail. Fais parler les indices, et forge toi une conviction intime. Parle de l’intime du sujet.
22 – Parle des langues venues d’autres mondes. Au risque de demeurer incompris.
23 – Fouille les décombres. Ramène à la surface des mots anciens. Parle d’hier.
24 – Passe dans la lumière, la main dans le sac à misère. Cherche un sens à cette décision.
25 – Monte sur les planches. Dis ta façon de penser.
26 – Partage tes incertitudes. Que tu sois connu pour cela.
27 – Aime la compagnie des livres. C’est indispensable.
28 – Par tes mots, tiens l’autre à distance. Vois sa profonde solitude.
29 – Fais silence. Au coucher du soleil, partage la Pâque de la langue, puis toute une nuit, imprègne toi de ses bienfaits, jusqu’aux lueurs de l’aube.
30 – Elle t’échappe, fatalement. Contente toi de la suivre de loin. Elle finira pas se fatiguer.
31 – Elle est rarement là où on l’attend. Fais toi une raison, ou cherche ailleurs.
32 – Essaie la chanson. Sinon ils ne se souviennent pas des paroles.
33 – Ne sois que l’ombre de toi-même.
34 – Descends en marche. Voyage sans billet. Échange tes impressions de voyage.
35 – Pense aux 99 propositions pour la France. Prends une envergure politique. Promets l’impensable.
36 – Mets tout en bouteille. Jette toi à l’eau.
37 – Les psychotropes sont tyranniques et parlent leur propre langage. Saches cela.
38 – Fais des jeux de mots, des fables musicales, sois attentif à leur musique.
39 – Observe à quel moment le lecteur s’endort.
40 – Efface les traits de construction. Ne te justifie pas par ton travail.
41 – Chasse les parasites, les échos du langage. Donne un signal clair.
42 – Mets au propre dès que tu as terminé. Les meilleures choses ont une fin. Trouve de l’aide dans l’instant qui suit.
43 – Puise dans les images. Travaille en mode analogique.
44 – N’oublie pas d’écrire pour ne pas oublier.
45 – Pense à la mort. Tu n’en as pas pour si longtemps que tu remettes tes recherches à demain.
46 – Fais les questions et les réponses. Même si tu n’as pas les réponses, et même si tu n’es pas bien sûr d’avoir compris la question.
47 – D’abord le décor, puis les personnages entrent en scène ? Change de perspective. Retiens l’attention dès le lever de rideau.
48 – Dis ce qui doit être dit, en négligeant la beauté et la gloire.
49 – N’aie que ton souffle et un peu de cervelle pour tous compagnons.
50 – Prends des notes sur les chemins des jours. Sème des pensées pour retrouver ta route.
51 – Demande toi ce que tu aurais fait si tu avais été à ma place.
52 – Sois persuadé qu’il y a un début et une fin. Indique une direction. Mets de l’ordre.
53 – Donne des ailes à tes paroles. Regarde le bas d’en haut.
54 – Abats. Élague. Ouvre une clairière dans la foison.
55 – Écris sur la ligne d’horizon. Vois loin.
56 – Improvise, combine, crée des anaphores, des métaphores, des périphrases, des nœuds de mots pour éviter l’emphase.
57 – Change ta relation au monde. A ce qui te fais face, préfère ce qui t’échappe.
58 – Pars de l’énergie du sujet. Reste en sa compagnie. Mets toi à l’épreuve.
59 – Sois transparent. Laisse toi traverser comme un prisme.
60 – Pense au rossignol. Sois bavard. Imite les communicants.
61 – Renonce à l’orgueil de l’autonomie. Apprends à écouter. Sois un bon compagnon d’écriture et n’oublie pas ta trousse.
62 – Escorte. Reste dans l’ombre des idées. Laisse jaillir. Ne cherche pas à comprendre.
63 – Dis tes préférences, tes différences, juge.
64 – Pratique l’écoute admirative. Adhère. Célèbre.
65 – Retrouve l’usage de la parole. Attends toi à des miracles.
66 – Parle pour ne rien dire, sans intention première. Parle de rien, du vide, de l’absence.
67 – Use des sous-titres, des didascalies, des renvois en bas de page. Oublie le corps du texte. Sois infidèle.
68 – Pénètre de nouveaux mondes par la petite porte.
69 – Le châtiment de l’orgueilleux est d’être oublié. Écris pour consommer sur place.
70 – Donne forme au récit, en sachant que la forme a son propre langage.
71 – Retrouve tes racines pour faire venir la sève. Mords à pleines dents.
72 – Plie bagage. Laisse les mots valises sur le quai. Voyage léger.
73 – Met aux mythes des habits neufs. Ouvre les armoires. Ne t’enferme pas.
74 – Tiens un journal de bord. Tire parti des événements.
75 – Abandonne tes cahiers sur les marches des écoles et pars courir les forêts.
76 – Parle aux nations endormies avant qu’elles ne s’éveillent. Écris à toute heure du jour et de la nuit.
77 – Archive. Compile. Reviens y plus tard. Laisse des mots sous l’oreiller.
78 – Continue tes pensées lorsque la lampe est éteinte. Écris dans le noir.
79 – Veille à toujours avoir à portée de main un peu de fixateur mémoriel (un bloc note et un Bic feront très bien l’affaire)
80 – Oublie tes échecs. Les échecs ne sont que temporaires. Bientôt, tu ne t’en souviens plus, ou bien tu fais comme-si.
81 – Dis la ville, ses bruits et sa clarté. La ville est une actualité.
82 – Écoute ton cœur : ne vouloir posséder ni vaincre, son conseil.
83 – Parle à tort et à travers. Parle à tort ou à raison. N’attends pas de te sentir légitime dans tes authentiques habits neufs.
85 – Retrouve un peu de ton enfance. Écrire, c’est prendre à parti un enfant qui s’enfuit. Retrouve sa lumière.
86 – Fais du bruit dans la chambre du mort. Souffle lui à l’oreille tes quatre vérités.
87 – Ne cherche pas à vaincre tes démons. Ignore-les ou fais leur une petite place.
88 – L’effacement est une source de lumière inépuisable. La gomme ouvre des chemins justes et droits.
89 – Rassemble en diagrammes tes idées. Un schéma vaut mieux qu’un discours pour préparer la suite.
90 – Il faut savoir mettre la dernière main. Passe à autre chose.
91 – Aime t’écouter parler.
92 – Entretiens le feu jaillissant. Apprends aux idées neuves à faire leur premiers pas.
93 – Lis dans tes hésitations des pistes nouvelles. Respecte tes doutes.
94 – Parle face à l’inattention, et face à l’insolence. Parle malgré tout. Laisse des traces sous la neige.
95 – Ne sois pas convenable, c’est insipide. Laisse toi surprendre.
96 – Dans l’épaisseur des mots anciens, lis l’avenir.
97 – Trouve dans la force de l’âge la force d’écrire
98 – N’attends de réponses ni d’assurance du dehors
99 – Cesse de te plaindre.
(100) – Go!
ABCDaire
Albatroce : oiseau de mauvaise augure
Aulx : mystère de la langue. Prendre les aulx purifie le sang et éloigne les vampires. Sourcellerie
Autopsie : entretien posthume
Balayette : petit balai pour bébé
Baron : personnage interlope. Ponte de la mafia, souvent dealer. On ne connaitra pas le roi car il est intouchable
Baisemain : il faut bien commencer par quelque chose. C’est un bon début
Café-concert : variante du café gourmand pour mélomane gastronome
Camembour : plaisanterie laitière à pâte molle
Déambuler : marcher d’un point à un autre à côté du droit fil
Décimètre : distance du pénalty
Dérober : permet parfois de découvrir la combinaison
Disque d’or : macrosillon
Embaumer : passer de la pommade. Hommage posthume. Subterfuge pour pleureuses sensibles aux odeurs de sainteté
Embonpoint : lourde récompense
Emoi : émotion très personnelle
Fiasco : échec à Naples
Flotte : singulier et vulgaire féminin de flots
Frémir : craindre l’ébullition
Garde-chasse : il faudrait savoir ce que vous voulez
Groin : cri du cochon
Haddock : poisson qui tombe à pic
Hémodialyse : c’est une bonne nouvelle, elles ne s’adressaient plus la parole
Impératif : dépêche-toi de rentrer ! Il va pleuvoir
Indécis : mesure incertaine (indécis maître, indécis litre à moitié vide)
Jugeote : magistrate en phase d’apprentissage
Julien : saint du calendrier
Kabbale : théorie du complot
Klaxon : agression sonore
Lice : place aux exploits
Lombric : ver de terre cuite
Ménage : union pour la transparence. Permet de laver son linge en famille
Mésange : passagère gardienne de mon verger de paradis
Navette : légume motorisé
Nécropôle : fonte des glaces
Oreillon : maladie contractée aux galeries Lafayette
Ouï-dire : approuver la rumeur
Parti : opinion du plus grand nombre
Perle : don de l’huitre à collier
Philozoophie : sagesse animale
Quadrant : carré rond à quatre côtés courbes et égaux entre eux
Régir : se prendre pour le roi
Reinette : souveraine à peine haute comme trois pommes
Sacripend : filou couronné et aussitôt pendu
Salaison : conserve pour la saison mauvaise
Sudiste : Américain. Souffre de transpiration
Tartare : Russe. Amateur de désert. Chair à canon
Tracteur : comédien émotif
Tube : enfilage de trous
Univers : se suffit à lui-même
URSTaire : pourquoi ce sont toujours les mêmes qui passent en premier ? Marre d’attendre mon tour ! Marre qu’il ne reste plus de choix de dessert au self ! Si quelqu’un à quelque chose à déclarer, qu’il s’avance, ou se taise à jamais
Vache : espèce baveuse, colérique et sensible au virus
Vaudeville : petit de la vache élevé en appartement
Wapiti : grand cerf malgré tout
Wagnérien : confus minimalisme symphonique
Xylophone : portable en bois
Xyclope : géant qui louche
Yaourte : habitat circulaire des bergers bulgares
Yuppie : hippie joyeux à qui tout réussit
Zonage : périmètre de baignade
Zoophile : amateur de cages
J’aime –je n’aime pas- Pour ou contre
J’aime qu’on m’aime – Je n’aime pas les faux semblants.
J’aime les senteurs-Je n‘aime pas celles des ordures ménagères.
J’aime le ciel- Je n’aime pas les pieds dans la boue.
J’aime marcher-Je n’aime pas lambiner.
J’aime la bouffe- Je n’aime pas la mal bouffe.
J’aime les fruits, les légumes- Je n’aime pas les surgelés.
J’aime mon appartement. Je n’aime pas que l’on m’épie.
J’aime notre atelier-je n’aime pas mes doutes.
J’aime écrire- Je n’aime pas les mots que je ne comprends pas.
J’aime apprendre-Je n’aime pas perdre la mémoire.
J’aime la vie-Je n’aime pas la maladie.
J’aime plus, plus, que tout, mes enfants. Je n’aime pas quand ils souffrent.
J’aime l’amour-Je n’aime pas être amoureuse.
J’aime ma liberté. Je n’aime pas ceux qui l’enlèvent.
J’aime être une femme. Je n’aime pas l’inégalité.
J’aime la spontanéité – Je n’aime pas les choses compliquées.
J’aime me faire belle- Je n’aime pas mon corps.
J’aime l’humour- Je n’aime pas le mauvais esprit.
**
Trouver sa langue vivante en 99 propositions…..
Je pense, je pose, je dispose, j’écoute les mots.
Je traduis mes ressentis
J’écris l’instant présent
Je fais des phrases courtes, j’écoute la résonance, la cadence.
Ma langue vivante est simple
J’écris le quotidien, la vie,
Je fuis les formules toutes faites des débuts et fin de lettres.
Je n’invente pas, je crée des images.
Je cherche à exprimer l’émotion de mes tripes, je m’interroge sur la perception qu’en aurait autrui.
J’écris pour être lu.
J’aime faire partager mes écrits pour me rassurer.
Ma langue vivante est pour l’oreille tendue.
Quand je me relis beaucoup plus tard, je suis face à une découverte d’un autre moi.
***
L’abécédaire
Amour de l’amitié
Baisers de tendresse
Courage d’être soi
Débrouillardise à tout âge
Ecoute du silence
Franchise de dire
Gueule de bois
Héron, l’élégant pêcheur
Iris de mon œil
Jardin de mes rêves
Képi militaire
Lumière du petit jour
Mouvement du temps
Non, savoir dire non
Oui je vous ouïe
Pardon n’est pas simple
Qui passe ici ?
Reste du plat
Solitude à deux aussi…
Toujours donc tous les jours !
Urbain état de l’homme de la ville
Vélo des balades de la Loire
Wagon du vieux train
Xylophone de Lionel Hampton
Yeux dans les yeux
Zébulon à ressort
Madeleine au St Germain le 11 Mars 2015 Proposition N°7
J’aime Je n’aime pas
J’aime au sot du lit respirer l’air frais du matin par ma fenêtre
J’aime l’odeur du café au réveil
Je n’aime pas le café tiède
J’aime le silence lorsque je lis
Je n’aime pas la télé en bruit de fond
Je n’aime pas qu’on me téléphone avant 9h
Je n’aime pas qu’on m’appelle après 21h30
J’aime mes petites filles
J’aime le regard espiègle d’Eléonore
J’aime la douceur d’Iris
Je n’aime pas passer les auditions de flûte traversière
J’aime la musique orientale
J’aime voyager
Je n’aime pas les grands hôtels
J’aime les randonnées dans le Sahara
Je n’aime pas les tempêtes de sable
J’aime passer quelques jours au village chez mes amis tunisiens
Je n’aime pas le retour à Paris
J’aime rendre service
J’aime prendre soins des autres
Je n’aime pas qu’on profite de moi
Je n’aime pas être envahie
J’aime la chaleur des pays chaud
J’aime les hivers froids des pays du nord
J’aime ma liberté
Je n’aime pas la solitude
99 propositions pour trouver sa langue vivante
1-je m’installe avec mon cahier, mes crayons, mon taille crayon et ma gomme
2-silence total
3-je regarde par la baie vitrée sans vraiment voir
4-je réfléchi e, les yeux dans le vide
5-je réfléchie ??? pas vraiment, la tête me semble vide ; je suis un peu comme en méditation
6-vais-je écrire en allemand ou en français ?
7-parfois c’est en allemand, mais très souvent en français. 42 ans de vie en France ont forgés mon cerveau
8-Je parle des choses de la vie, de ma vie, de ce qui m’habite, de ce qui me touche mais aussi de mes souffrances- bref- de tout ce qui fait parti de la vie
9-alors j’écris comme je parle, comme je pense, comme cela me vient naturellement, tout en évitant depuis quelque temps les ONOMATOPEES – consigne de Léa qui a tout à fait raison, cela rend la lecture plus fluide…
UN SI GRAND DANGER !
Je
Maître du peuple d’ici et d’ailleurs
vous a fait venir ce jour des contrées les plus proches et les plus lointaines du royaume
afin de vous mettre solennellement en garde
contre les dangers auxquels vous vous exposez
quo-ti-dien-ne- ment.
Accompagné de mon fidèle Sylvain
j’ai parcouru le pays
du tréfond des campagnes aux faubourgs grouillants
en passant par les villes les plus éclatantes
et les châteaux les plus somptueux
je suis allés par-tout- où- vous- al-lez.
Ce que j’ai vu m’a parfois réjoui
d’autres fois contrarié
étonné
tourmenté
cette fois
ré-vol-té !
Ainsi
Je
Maître du peuple d’ici et d’ailleurs
vous exhorte à ce jour
Arrêtez ! Arrêtez ! Arrêtez les tables rondes !
La table ronde
ronde comme le soleil
ronde comme la lune
ronde comme le ventre de la femme
vous a-mol-li !
La table ronde
vous pousse à vous voir
à vous entendre
à vous écouter.
Malheur à vous !
Je
Maître du peuple d’ici et d’ailleurs
vous en conjure
fini les tables rondes dans ce royaume.
Cassez ! Cassez ! Cassez les tables rondes !
Que vos haches les réduisent en miettes
Brûlez ! Brûlez ! Brûlez les tables rondes !
Faites de vous des hommes justes des hommes droit
des hommes solitaires !
Choisissez comme il se doit les longues tables rectangulaires.
Prenez-les étroites.
Alignez-vous sur un seul côté.
Oubliez les autres
leurs bavardages
leurs idées
Ne voyez personne
n’entendez personne
restez dans vos pensées
ne les livrez pas
Ne vous laissez pas troubler n’adhérez pas à la pratique de la parole qui ne cache que perversité et mensonges
Ne souriez pas
ne riez pas !
Fuyez ! Fuyez ! Fuyez les tables rondes !
Je
Maître du peuple d’ici et d’ailleurs
vous le déclare haut et fort :
que dans chaque maison chaque auberge chaque masure chaque château ou quelconque abri humain
les tables rondes soient
a-né-an-ties !
Massacrez-les !
Réduisez-les !
Que les flammes fassent leur oeuvre !
Et que l’ordre revienne
avec la disparition
du rond, plon-plon !
Je
Maître du peuple d’ici et d’ailleurs
veillera personnellement
à l’application de cette décision
des sanctions seront prises à l’encontre de la désobéissance.
Les contrevenants seront attachés puis écartelés sur l’une de ces diaboliques roues à quatre pattes.
Que plus jamais le disque funeste ne vienne troubler ma vue !
Je
Maître du peuple d’ici et d’ailleurs
vous dit…
à bientôt !
A pas loin sur
Uniquement auprès
ou ailleurs parfois encore
Au travers de tant d’autres,
si singulièrement une seul,
généralement tout et idem.
Toi et moi comme un tout en somme
Comme un n’importe qui
avec n’importe quelle.
Je de plus, ou encore par en si.
Alors, et ce nous que tu même ?
Désormais très souvent parfois.
Plus jamais seul si pour toujours se tu.
Désormais tu et donc une autre
Une donc où tous ensemble
Jamais sur un si sans eux
et pas nous de si sans elle.
Comme un toute à chacune d’elle
Or un car du très pour,
mais de loin bien plus sur,
ni pour même contre ça,
mais comme un tel travers assez tout contre toi.
Pourtant et à quand cet assez ?
Où et donc or ni car ?
En dessous de tout.
Sur ?
sous et certain.
NON LUI PAS
Tellement là là là partout encore lui lui lui
ici ailleurs lui lui lui encore toujours
jamais pas lui non que voilà lui lui lui
nous pas lui non encore là pas lui lui lui
trop trop trop et nous parceque voilà trop
depuis tant tant tant tellement lui trop
désormais contre enfin stop stop stop trop
plus lui maintenant jamais maintenant trop
ainsi nous ici sans lui toujours puisque ça
nous parceque debout alors oui oui oui oui ça
oui oui oui ce CRI maintenant pas lui pas mais ça
jamais jamais jamais lui ou autre qui comme
toujours toujours toujours nous je vous pas lui
tu je toi moi nous vous nous pas lui non lui pas !
Dédicace
La profondeur de l’expérience fortifie les résolutions. Je vénère ce serpent de langue vive qui glisse, s’éprend et se mêle aux reflets siliciums. La surface pensée s’irise à chaque pulsation des microprocesseurs, au crissement nourris du graphite. Si j’écris c’est pour voler ton âme, ma pure, ma divine, me glisser nuitamment dans ta place, et au travers d’un personnage minutieux, plus attentif que je ne suis, te faire glisser vers la stupeur. Il me plaît de te voir t’absenter à toi-même dans cette solitude que le néant et les chimères rétribuent grassement. Me lire fait de toi une absente à ce monde si plein de bruit, chargé de doutes tentateur. Un court instant. C’est ma manière de servir. Je jette des grains de bleuet et de menthe dans le peigne de tes moissons. J’écris pour te voler du temps.
J’imagine. Nous formons deux pôles d’un aimant. Les mots sont attrapés dans le champ magnétique des attentions mutuelles. Ils composent, suspension de limaille, la forme des pensées le long des méridiens. Je pousse la contrefaçon qui affecte tes sens, t’offre un étrange familier. Te voilà héroïne. Tu sens pour elle à ta façon, tu te glisses pour une heure dans une âme cessant d’être étrangère. Tu deviens le sang qui se fait chair. Par quelque nouvel avatar, je marche près de toi dans la grotte où dansèrent des ombres. Te crois-tu vraiment seule dans les villes inconnues où je t’ai invitée, couverte de présent dans des histoires absurdes et l’or des cœurs brisés ? Je conte les oiseaux et te voici volant. Je me porte à la pointe de l’unique, en moi-même. Des vents inexplorés apportent des nouvelles qui du jadis me viennent et me surprennent. On ne peut partager ses rêves. Écrire c’est comme t’inviter.
Suis-je seul, enfant des terrains vagues ? Suis-je seul tombant de la falaise dans le souffle des astres ardents ? Suis-je seul à jouer de cet orphéon engourdi dans la lumière de sable ? Suis-je seul d’avoir soudain perdu mon amitié dans le rideau des bourrasques de mer ? Suis-je seul à foison à part d’une foule sans voix ? Suis-je seul ce soir à écrire dans la lumière oblique de cette vitre opaque alors qu’au fond du bar s’élève un cœur confus et des sons de soucoupes ? Non je ne le crois plus. Je comprends maintenant ton goût pour le silence.
Nous devrions sourire de la futilité qui ressort de ces mots, de ce livre espéré, de ces éphémères questions de langage. Partagé entre signes et sens, je file sur un nouveau métier. J’ouvre des portes. Je fais parfois des découvertes et t’invite à mes expériences. J’aime te faire sourire. Je tisse des liens lâches entre vie et mémoire. Je déroule des toiles dans le soir de tes yeux.
Les hommes sont de par nature mauvais et méchants…
Je vous réunis pour vous mettre en garde
L’homme est né pour se battre :
Pour avoir de la nourriture il tue
Pour avoir un toit il tue
Pour avoir sa terre il tue
Pour avoir le pouvoir il tue
Pour avoir l’amour il tue
Je vous mets en garde :
Surveillez ceux qui vous entourent
Le jaloux, l’insatisfait, l’orgueilleux
Tuent réellement ou sournoisement
D’un coup vif ou à petit feu
Torture physique ou morale
L’homme naturellement est méchant
L’homme est-il coupable ?
Oui il veut être le plus fort, le plus beau, le plus chéri, le plus riche, le plus écouté
Je vous mets en garde
Ne devenez pas cet homme
Respectez votre semblable
Vive la Liberté, l’Égalité, la Fraternité
A la limite de….
Vous, parce que
Ce dont tu
Pour vous
Mais vous un des
Des pour ou contre
Des contre tout et
Tous pour un donc !
Ce tu donc vous
Des contre
Contre des pour
Tout ou rien
Toujours, vers, devant
Alors des puisque là
Au-delà vous et moi
Arrière les puisque pas
Pas ou pas,
Tu, donc vous et moi
Ceux- là des ceci- cela
En avant ….
Madeleine
Ah lala !!!
Vous la mais pas celle
Avec des qui à bout.
Seulement à bout de quoi,
De quoi, ne pas, ne pas.
Je le de grâce à vous,
A vous pour vous, pour nous.
Ce quoi à qui de quoi,
Pourquoi cela ? pourquoi ?
Vous aussi gare à vous
Maintenant et puis tout,
Quand la à jamais vous.
Nous toujours et contre,
Nous maintenant entre,
Nous après tout ensemble.
J’écris à qui, pour qui, pourquoi ?
Comment suis-je arrivée à l’écriture ? Déjà très jeune je tenais un journal intime, je racontais mes joies, mes peines et mes secrets. Je pratique toujours ce style d’écriture – j’écris pour moi, le destinataire c’est moi ; parfois je relis des passages et je ne veux surtout pas qu’une autre personne me lit !
Puis j’ai rencontré le Slam – pas de consigne. J’écris spontanément un poème, un petit texte. Les thèmes varient suivant ce qui m’a marqué – fait divers, situation vécue, proverbe ou sagesse lus qui m’inspirent. Ce que j’écris dans ce cadre est forcément écrit pour être lu devant un public.
Rencontre avec l’atelier d’écriture de Léa – il y a TOUJOURS une consigne. Cela change TOUT ! L’angoisse au moment d’entendre la consigne….. quoi écrire ??? Vais-je avoir de l’intuition ??? Et combien de fois je suis surprise après coup de ce que j’ai su écrire ! Il y a des textes très intimes, parfois douloureux qui ne sont pas toujours évident à lire devant un auditoire. Il y a ceux qui parlent de ma vie, celle avant mon arrivée en France. Ceux-là je les adresse à mes trois filles pour qu’elles connaitront un peu mieux leur mère. Et ces textes là me font toujours regretter de ne pas avoir eu l’occasion d’apprendre plus de détails sur la vie de mes parents.
Il y a aussi mes longs écrits secrets des jours de blues. Mon crayon court sur le papier, les pensées, les sentiments se bousculent et sont couchés sur le papier tel quel. Ceux-là je ne les montrerai jamais à personne.
Lettre morte ? Pour moi cela n’existe pas ; il y a TOUJOURS un destinataire, ne serait-ce que moi-m
L’idée : on écrit pour être lu, demandons-nous par qui ? Quel est le destinataire de mon texte ?Qui me lit ? Est- ce que quelqu’un me lit ? Est-ce que c’est important que mon texte trouve un destinataire ou peut-il rester lettre morte ?
*
Réponse au questionnement
Plusieurs façons d’écrire, plusieurs façons d’être lu.
*
L’officiel
Un écrit est destiné à être lu, pour laisser une trace de ce que l’on pense à un moment donné.
Pour transmettre ses exigences, ses volontés. Dans ce sens mon écrit devient officiel et revêt un caractère administratif.
Il me libère, je ne laisse pas la galère à autrui de prendre des décisions lourdes et pénibles.
Il sera lu aujourd’hui ou au moment opportun ; d’y penser me fait du bien.
Il me faut planifier cet écrit- là.
Pourquoi ai-je en ce moment cette pensée ? Les débats sur la fin de vie m’interpellent
J’écris bien pour être lu et mon destinataire est connu. A cet instant c’est important.
**
L’affectif
On apprend à écrire et tout de suite on est lu.
Le premier papa, maman est gravé dans le cœur du destinataire.
Le « maman je t’aime » accroché sur le frigo est conservé pour l’éternité.
Mémoire de nos petits
***
Partage
J’écris, je me relis, suis surprise, sans avoir de but précis.
J’imagine un écho dans un autre
Je partage, attends quelques retours, puis je m’en moque
Je me laisse aller parfois à mettre mon texte sur un répondeur
De cette oreille sourde, il enregistre mon écrit
Une oreille tendue le reçoit et en fait ce qu’elle veut
J’ai livré mon cadeau.
****
Lettre morte
Je trouve le terme élégant
Comme le e muet.
Oui je me souviens avoir écrit une lettre à ma fille pour ses 14 ans.
Je lui racontais ce que j’attendais des miens, étape de la vie où me semblait-il on devenait adulte…
Ma lettre est restée morte…..je rêvais de mon destinataire, nous n’étions pas en phase.
Ça ne fait rien, même pas mal, chacun vit ses 14ans à sa façon.
****
Maturité
Je comprends que j’écris pour moi
Quelque fois sans clavier rien que dans ma tête
Ce n’est plus un écrit
Et pourtant ce n’est pas autre chose que des mots, des phrases, des accords, des résonances
Qui passent comme les nuages
*****
C’est un atelier qui me sert à avancer….
Dans l’écriture ? Dans la connaissance de moi ? Dans mon style ?
Ai–je un style ?
J’écris pour réfléchir, mais aussi faire réfléchir
Ce verbe est bien joli penser intensément ou se mirer profondément…
Je serai lu, puisque je lirai mon texte à mes collègues
Je le taperai,
Je le partagerai
Mon inquiétude sera effacée
Dès l’appui sur la touche « envoyé »
Madeleine au St Germain le 1er Avril…
JE ECRIT
Longtemps j’ai cherché un visage travaillant de mes doigts malhabiles l’argile rouge.
Longtemps j’ai cherché le visage d’une femme.
Un visage qui clôturerait mon besoin de sculpter des visages de femmes.
Je n’ai jamais trouvé des traits aimés à cette ombre. Sa grâce, sa clareté, sa pureté. Sa beauté. Elle continue de me hanter.
Maintenant, j’utilise les mots.
Avec les mots, c’est encore cette femme que j’essaie de faire apparaître.
Et ce doute : parviendrai-je à lui donner un corps, un visage ? Parviendrai-je à lui faire dire ce qui constitue ses pensées, ses sentiments, ses émotions ?
Chaque texte comme une terre pour lui donner une forme.
La forme comme une image dans un miroir.
Un miroir. C’est cela.
Les mots sont le reflet de celle qui écrit.
Dans le miroir, un rêve se réalise : les mots sont la forme juste de celle qui écrit. Le tout de ce qui est à dire. Il n’y a là que vérité.
Ecrire, n’est-ce-pas tenter de parvenir à mettre dans une forme, hors de soi sa propre forme ?
Cela fonctionne plutôt bien quand je suis mon propre lecteur.
Quand je relis mes textes, je m’y retrouve. Ils sont l’image de moi pensant, moi ressentant, moi vivant.
Lire le texte à un autre et soudain, la forme se fissure, elle se fane comme une fleur détachée de sa terre nourricière.
Les mots, les phrases se délitent. Poussière !
Cela fait peur.
Cela libère. Le texte n’est plus moi. Il n’est plus moi !
Jamais, non jamais je ne crois, un autre n’aura accès à la clé de mes songes.
Ou alors peut-être quand je serai morte. Quand je ne serai plus et qu’un hypothétique lecteur dira ah ! elle était cela. Comme s’il fallait la mort pour qu’une forme définissable de soi se dessine dans le regard des autres.
D’ici là écrire, pour le plaisir tout simplement. Se lire, et lire aux autres. Pour que le texte s’envole, pour perdre ses amares et en trouver de nouvelles.
Ecrire…
Le metteur en scène : consignes pour le plus jusqu’au bord…
Je veux du dépassement de soi, de l’au-delà, de l’impossible, du plus, toujours plus, encore, encore ….
Vous ne vous appartenez plus,
Vous servez le texte, vous n’existez plus, vous êtes l’autre.
Je veux que vous donniez tout,
Je ne veux pas que cela vous ressemble,
Je ne veux pas d’individualisme, je veux une osmose
Il n’y a personne au -dessus de l’autre. Chaque rôle est nécessaire, important
Je veux le respect de l’auteur, de son œuvre, de sa création, nous lui devons fidélité.
Je ne veux pas d’improvisation, vous ne changer pas un seul mot.
Ne soyez pas satisfait, donnez, donnez, sans compter avec force, pudeur et simplicité
Donnez jusqu’au bout …jusqu’au bord…jusqu’à ne plus pouvoir…
Reprise…
Les questions qu’il se pose : Addiction aux mots
Servir le mot
Le porter haut
Il sonne, résonne
Il sonne juste
Il sonne faux
*
L’inhaler
Le goûter
Le rouler en bouche
*
Le lâcher
Le cracher
Le susurrer
Le donner
Un état borderline
Les oreilles bourdonnent, la gorge serrée, la boule au ventre, le tourne en rond,
la tête encombrée, les pensées emmêlées, les peurs injustifiées, les nuits agitées ;
Le cerveau défaille
Le mal être maintenant.
Qui suis-je ? 0u cela pourrait me conduire
Souhaiter être en prison, la vieille prison, le trou
Isolé, coupé du monde
Ne plus être dans l’absolu…
Je marche sur un fil
De quel côté penche ma vie
Ne plus parler, tout m’indiffère,
Pas de raison d’être là
Partir vers l’inconnu
Marcher, marcher sans se retourner
Face au vent qui balaye
Mais où vas-tu ? Nulle part
A quoi penses-tu ? A rien
Tu t’égares et tu reviens
Tu accumules ces petits riens…
Tu ne supportes plus
A qui dire
Je ne peux dire
*
Musique,cigarettes,whisky,
Dormir, dormir,
Demain on verra…..
****
Madeleine au St germain le 8 avril
Théâtre populaire de Saïgon, juin 1970
A l’extérieur : bruits de mobylette – musique militaire diffusée dans les rues par haut-parleur
Je veux les voix décolorées des solitudes et de l’internement, de ces sortes de voix sans souvenir, aux têtes couturées, de ces appels consternés des fiancés inattendus revenus du combat. Je veux entendre les espaces entre les mots. Concentrez-vous sur eux pour cette fois. Mon théâtre se dresse à l’ombre de la mort dans le bourdonnement des pales et les crépitements incendiaires. N’essayez pas d’être devant.
Je veux sentir dans le creux de vos joues des vapeurs d’ammoniaque et voir sous la pâleur de vos traits la brûlure de la chaux. Il n’y a plus de mémoire à inscrire. Tout a déjà été dit. A quoi bon. À travers vous je veux reconnaître l’oubli, lire les images en négatif dans la lumière des phares et des lanternes dans les rues.
Je ne veux à aucun moment qu’on puisse penser au repos. Pas le moindre confort. Voyez. Les tabourets sont en aluminium, les draps sont plein de miettes, le plancher est tâché de sperme, et la table collante. Qu’attendez-vous donc pour fuir ?
J’ai voulu ce décor de ruine pour une langue calcinée. Vous me prenez pour un auteur ? Le véritable auteur doit être le propriétaire de ce théâtre abandonné par l’ennemi, celui qui a sorti ces lignes du vomi. Je ne les ai pas voulues. Des pages, j’en ai noirci par centaines avant de les brûler. Mais si vous décidiez cependant de me suivre, sachez que vous serez comme des aveugles qui auraient jeté leur canne en enfer. J’irai chercher dans l’épaisseur de chacun d’entre vous le fiel et le mercure. Vous êtes encore de libre de partir, pas de seconde chance.
Bien. Approchez-vous. Je vais vous distribuer les rôles.
– Toi, l’ancien combattant, tu seras ce vieillard triste et apeuré, ancien sportif qui voulait arrêter le temps. Tu crois encore aux Rolling Stones, squelette pianotant sur les touches nacrées d’une Remington rhumatisante.
– Toi, ma belle, tu seras cette femme opulente à la voix hystérique qui croyait à l’amour, que l’on prend sèchement dans les toilettes du dancing aux fissures apparentes.
– Toi qui me semble idéaliste, tu seras ce petit germe mort dans l’œuf, ce professeur de poésie qui passe ses dimanches à la recherche d’un souffle éteint, dans les rues, alcoolique invisible.
– Toi la lucidité, tu seras cette femme impénétrable, vandale, chamailleuse et détestant les hommes, hallucinée, promenant un python et tombant de sommeil sans raison apparente.
– Enfin, toi mon gros, tu seras ce commerçant au bord de la faillite, compagnon de Bouddha, sans imagination, lourdingue et myope, que sa femme a plaqué un jour sans même un mot d’explication.
Je vous veux sur la scène tout à ma ressemblance. Bon pour le monde des poissons. Vous serez à votre aise. Dans la nuit théâtrale, les noyés consentant ont l’océan presque pour eux seuls.
Êtes-vous convaincus ? Cette distribution vous séduit-elle ? Alors, mes pauvres amis, allons à la rencontre de notre public, leur montrer l’envers de cet âpre travail du théâtre et de l’écriture.
Mesdames et Messieurs, restez assis, je vous en prie. Je me présente. Je suis le croque-mots et voici mes lamentables sbires. En qualité de commissaire aux affaires poétiques, je tiens à ce que vous sachiez ou nous vous emmènerons. Nous avons prévu une langue pleine de réalisme, des images prises sur le vif, ramassées dans la rue, un jaillissement spontané. De quoi ? De douleur sans doute. Rien de gratuit. Pas de ces mots briqués comme une lampe dans l’espoir d’en sortir un génie, pas de soleil couchant, de roses sans épines, ou de jolies pagodes. Nous n’avons pas cédé au racolage. Nous vous inviterons à la frontière du supportable et vous sortirez du spectacle comme engourdis par les vapeurs d’éther. Nous parlons du théâtre de la cruauté. Et en parlant nous faisons mine de vous être attentifs et présents, malgré la peur qui rode. Prendre le pouls de l’air du temps n’est pas chose facile en de pareilles circonstances. Nous devons suivre les consignes de la grande conseillère du bureau de la propagande. Mais attention ! Nous refusons l’obscurantisme et les ruses intellectuelles. Si nous vous emmènerons bien au bord de la folie, c’est en termes compréhensibles, avec des émotions simples. La révolution est par essence populaire. Le théâtre ne peut sous peine de mort, exclure le spectateur. Nous nous interrogeons sur le langage. Soit. Mais nous ne nous adressons pas qu’à la tête. Nous serons ce tableau vivant, où même si tout est chimère, le peintre aura pris soin de peindre en premier le squelette, puis les nerfs, les boyaux, puis une couche de chair avant de l’envelopper de ces précieux rubans. Sous les planches du décor de solides fondations et des racines aux arbres que vous apercevez. Nous parlons du théâtre d’une incarnation de la langue.
Fin de l’acte 2, le vieillard seul en scène
Bande-son: Riders on the storm – the Doors
Les yeux atomisés, le ventre étreint et le corps assoiffé, il dessine des feuilles de Sativa sur le papier peint au bord de la fenêtre rose.
L’élargissement de la conscience efface la pensée
Je ne peux pas dormir Angie
je me perds Angie
le sang est comme la pluie Angie
je t’appelle Angie
le ciel va s’effondrer Angie
je cours dans les ceintures Angie
si je ferme les yeux Angie
je te vois Angie
je tends la main Angie
j’essaie Angie
est-ce que tu viendras Angie
pour cette lumière Angie
pour me sortir de là Angie
dis moi
Angie
Extrait de « théâtre insane ou la vie trouble » de Tran Van Pan
Napalm d’or 1971 décerné à titre posthume
BORDER LINE
La scène, est un lieu clos.
Vous devez exploser ce cadre. Par delà les 3 murs, un univers tout entier peut se révéler. Celui des rêves, des peurs, des stupeurs et des joies.Celles du personnage. Les vôtres. Celles du spectateur.
Ne le laissez pas dormir, le spectateur. Délitez sa tranquillité. Chargez vos corps, vos mots des couleurs les plus fauves qui sont en vous. Embarquez le spectateur dans son monde qu’il ne connaît pas lui-même.
Enracinez-vous dans le sol de la scène. Pour n’être jamais là. Soyez tellement là, sous nos yeux que vous en devenez étrange.
Soyez comme le roseau : les pieds fixés dans la vase et la tête vibrante dans les soleils balancée par les vents de l’inconnu.
Il ne doit rester que des ébranlements.
Le temps de la pièce se déroule inéxorablement.
Explosez le temps. Egarez-vous, égarez-nous.
Soyez tellement occupé à chaque instant que la notion de déroulement du temps sera perdue. Tellement présent. Non temps.
Eclatez la réalité.
Déorganisez-la.
Rendez-la réelle.
Soyez sur une lisière. Vous y déposez le spectateur et, vous le laissez là. Sans voix.
Touché !
…………………………
La tête devenue soleil
verres de lunettes bleu électrique
rayons rouges
un fil
trottoir de béton orangé
si je le suis ?
englouti dans un puits
si je m’arrête ?
Le gouffre de l’oubli
toi là
toi qui évite le monde
tu vois ?
tu vois ?
Vois-tu
là
pieds ailés
valsant
au-dessus du trottoir en feu
danse
danse avec moi
il ne veut pas venir avec moi
il ne peux pas
absent
il est absent
et moi je danse
vois !
la danse
de celui qui danse…
Viens !
………………….
Ventre ouvert
la crevasse
serpente
craque
chante
resplendit
glace bleu turquoise
gouffre immaculé
le pont de neige
fil incertain
saute
par-dessus les entrailles
scintillement
air brûlant
souffle glacé
univers radieux
lumière
immensité
celeste
espace immaculé
temps oublié
oubli de soi
la corniche s’élance
au-dessus des à-pic
et je cours
et je ris
et je danse
et je peux
oui, là, je le peux
marcher par-delà les montagnes
dans l’air
qui m’ennivre
un cri
arrête !
Ah !
Ce n’était que l’ivresse
l’ivresse
des cîmes.
Pluie de printemps
Sortie de route. Le temps s’est arrêté,
deux fois le cerisier dans le rétroviseur
Par amour et pour mes 23 ans, mes parents m’ont offert une voiture de sport allemande d’occasion achetée en Belgique. Une voiture basse à la carrosserie verte olive. Une Opel Manta. Traction arrière. Une bombe. Je ne l’ai pas gardée longtemps.
Le soleil brillait en face de moi et jouait à saute collines. Au détour d’un virage, sa violente clarté orange vint m’aveugler à travers le pare-brise subitement opaque. Je fais une embardée pour éviter la masse agressive et confuse d’un autre véhicule. Plus possible de m’arrêter. J’arrive trop vite, trop fort, trop brutalement. La voiture tourne sur son axe et heurte le talus par deux fois. Choc avant. Un tour complet à l’inverse d’une aiguille. Autre choc à l’arrière. Bascule dans le fossé. Ce soir-là je devais arriver avant 19h30. Je conduisais dans la matière épaisse de ce soir d’avril avec sa couleur fauve, dans son air alourdi entre fin d’un orage et menaces de pluie. Un temps collant. Une musique à fond dans la radio. Juste un peu trop pressé.
Je ne suis pas inquiet. Les objets volent dans l’habitacle sans me heurter. Tout est en déséquilibre. Une volute de cigarette blonde s’entorsade. Le mégot allumé cabriole au milieu d’un nuage de cendres. Une mouche au regard bleu vole la tête en bas et passe en marche arrière. Un porte-clés de marque se balance lourdement. Le porte-clés lesté des voitures de prestige pour étudiants fauchés à la famille compréhensive. Aujourd’hui je dirais généreuse. Un bouquet de tulipes en bascule se heurte à l’appui-tête du siège passager. Le pollen cette année est d’excellente qualité. Le feuillage libère des écailles cuivrées, un sable végétal tourne dans les rayons du soir miellé. Quelle heure peut-il bien être ? L’horloge est arrêtée. Mes lunettes flottent en suspension à une dizaine de centimètres de mon visage avant de heurter le pare-brise. J’éclate le rétroviseur, des cristaux de verre suspendu autour de ma tête. Le plafonnier crache son ampoule. J’ai l’image d’un véhicule au dehors, de mottes de terres herbeuses arrachées, et d’une conductrice tête en bas qui semble essuyer sa vitre latérale. Elle m’a fait signe je crois. Des feuilles de papier volent dans l’habitacle. Une truite arc-en-ciel est dessinée sur l’envers d’un texte écrit au stylo mauve. Une truite savante. Si jamais vous me sentiez absent, inutile de me chercher où vous êtes, je flotte dans l’apesanteur. Comme dans un tableau d’Yves Tanguy. Je vis mes six dernières secondes d’éternité.
La voiture décrit des cercles en surface. Les courbes sont majestueuses, les orbites amples et généreuses. Un étrange silence s’est installé entre moi et le monde. La poésie de l’anticipation du choc. Juste un crissement d’ongles sur l’émail. Un goût de métal dans la bouche. Je croise mon regard dans le rétroviseur, comme un autre moi-même considérant l’inexorable avec apaisement, comme si je me voyais déjà de l’autre monde. Puis une apparition, les yeux fixes et exorbités d’un animal entravé, sans souffle, regard d’effroi et de défi, comme un gladiateur égaré entrant par la porte des rois face à une ombre immense. Une force brute, immobile, furieuse, déterminée, pâle, les mains sèches et les muscles saillants, une énergie électrique, bestiale. Soixante-deux kilogrammes de nerfs. Je porte la main à ma tempe comme si j’avais répété ce geste mentalement avant de l’accomplir. Le volant tourne dans le vide. Une odeur de gomme brûlée, d’herbe arrachée, emplit l’habitacle. Les repères sont brouillés par le déséquilibre. Impression de cyclone tournant au ralenti.
J’ai pensé à tout ce que je ne serai pas, à ce père pas fini au fils plein d’avenir, à cet homme enfermé dans la nuit avec des dictionnaires, ce cuisinier presque pendu, ce volontaire rêvant de migrations, au conseiller de ce chinois rencontré récemment, qui voulait une échelle assez haute pour qu’elle puisse atteindre la Lune. Ce rendez-vous était sans importance. Tant pis si je suis en retard. Ma montre s’est arrêtée. Si je meurs mon amour, tu trouveras la soupe dans le placard. Oui, je suis d’accord, c’est à nouveau n’importe quoi. Mais elle doit être encore bonne. Ce serait bien dommage qu’elle se perde. Pour l’instant je suis en duel avec la trajectoire. Je serre la ligne et le fossé s’approche. Le compteur à aiguille tremblote entre 3000 et 3500 tours par minute. Je suis en total surrégime. À la recherche de mon dernier souffle. Tout entier sur le sentier de la guerre, frôlant parfois des enfants, des passants, des vieillards. Un fauve dangereux, sûr de lui. En quête de puissance. C’est peut-être mon dernier film.
Plus rien ne bouge. C’est l’entracte. Comme une anesthésie. J’ai la sensation que rien de cela n’est réel. Je suis comme un enfant qui ne sait pas pourquoi il aurait dû mourir. Ce n’est pas dans l’ordre des choses. Je sens l’indifférence accablée des futurs qu’on me vole. Je marche sur l’arête du temps, à regretter déjà le jour de ma naissance. Je suis le descendant d’une perle de rosée. Mais, tout à l’heure, un autre sentiment viendra s’ajouter à cette douce sensation d’humanité. La peur. Une peur authentique, charnelle, coagulée à la base du cou. Paralysante. Au bord des latrines devant un tel péril évité de justesse, ressort cassé. L’influx nerveux tranché d’un coup de lame. Incapable de dire un mot, d’émettre le moindre son. Et cette injonction sans origine. Vivre. Être la vie. Être là évidemment pour vivre. Me saisir du temps qui me reste comme d’un bien personnel, jaloux, accrochés d’une main à l’échelle de secours, accroché d’une seule main. Sentir que j’ai touché là une des extrémités de moi. Et comme un nageur, sur le fond, pousser de tout mon corps pour crever la surface. Sortir de l’imprévisible comment en béatitude. Sauvé de la férocité des départementales. Têtu comme un caillou.
Une poigne affolée de femme de campagne secoue la portière conducteur. Qui cède. Elle l’ouvre en grand en poussant la tôle de tout son poids. De toute sa puissance inquiète. Elle me parle beaucoup mais je n’entends que les grincements du métal. Je sors de ma torpeur avec un grand sourire.
« M..s.eur ! M……ur ! Monsieur… vous n’êtes pas mort ? ». Il faut que je décroche ma ceinture de sécurité. Elle m’enveloppe dans un imperméable. Je tremble. Mes jambes se dérobent. Je suis en retard. Il faut absolument que je téléphone.
Vent d’avril
Ballet des essuie-glaces
Dans la voiture qui m’emmène, murmures
LA PORTE
Corps épuisé. Pas automatiquement alignés dans la cour du centre hospitalier. Semi-sommeil. Rentrer dans l’appartement où s’entassent les cartons du déménagement. Lui, laissé sur son lit d’hôpital. La voiture se conduit, seule. Rue étroite. Inconnue. Immense porte de bois. Close. Encastrée dans un mur de pierres blanches. Une porte épaisse. Porte de forteresse. La voiture va. Un choc mat. Un rebond. Un autre choc. Verre. Féraille. Des mots.Refus de priorité. Camionnette brisée. Voiture défoncée. Police. Huissier. Vous êtes blessée ? Non.
……….
Corps épuisé. Esprit vide. Une sensation cotonneuse. Automatiquement des pas s’enchaînent. Un état de semi-sommeil laisse un peu de conscience qui sert d’appui pour tenir debout. Rentrer dans l’appartement encombré de cartons. Pas encore chez moi. Pas encore chez nous. Il est seul lui aussi sur son lit d’hôpital malade comme un chien. La voiture va par des rues étroites que je ne connais pas. Les mains sur le volant se laissent faire. Une porte de bois apparait. Immense. C’est un monument. Une forteresse close. Les murs de pierre blanche sont compacts. Une porte hermétique est encastrée dedans. Elle m’aspire. La voiture va. Un choc mat. L’état cotonneux est plus dense. Bien-être dans tout le corps. Un rebond. Un choc. Un fracas de férailles. De verre. Un silence un instant un grand repos. Des cris. Un homme en colère. Des hurlements. Police ! Huissier !
Vous êtes blessée ? Non. Près de moi une voiture en ruine. Plus loin une voiture enfoncée. Sur le trottoir une camionnette délabrée. Je suis là. Au centre d’une agitation. L’agitation tourne autour de moi.On me regarde. Je suis immobile. Silencieuse. Quelque chose est arrivé là. Je n’y étais pas.
………
Corps épuisé. Esprit vide. Dilatation douce. Tous les muscles se relâchent et l’esprit s’ensommeille. Il n’y a plus de fatigue. Il n’y a plus de tristesse. Mes pieds peuvent aller. Automatiquement, ils vont. Le moment est presque doux. Comme un temps de somnolence sur le sable chaud. Monter dans la voiture pour aller quelque part. Ce lieu m’est étranger. Je n’en ai pas d’image. Je connais les cartons déposés tout à l’heure. Ce n’est pas chez moi. Pas encore. Pas chez nous. Hospitalisé d’urgence il n’a pu y venir. Je n’aime pas aller là-bas. Je ne sais plus y aller. La voiture elle, sait. Va par des rues étroites que je n’ai jamais vues. Je n’ai pas d’opinion. Il est doux de la suivre. Elle va si doucement…Surgissant devant moi une porte de bois. Hauteur de forteresse. Hermétiquement close. Elle s’approche. Vient vers moi. Un choc mat m’en sépare. Inondée de repos je vais enfin dormir. Autre choc. De la féraille se brise. Du verre explose. Des cris. Des hurlements. Des mots. Bonne femme folle. Police. Huissier. Des gens s’agitent, arrivent de partout. Il y a de l’hostilité. On m’accuse. Quelques voitures en ruine. Ma voiture défoncée. L’agitation tourne autour de moi. Centre d’un manège disloqué. Il y a de plus en plus de monde. Un homme s’approche avec attention. Vous êtes blessée ? Non. Des voix. Des voix. Des cris. Des hurlements. Des accusations. Des insultes.
Un film se déroule sous mes yeux. Je le regarde. Je n’ai rien à en dire. Je me sens immobile. Totalement immobile. Corps et âme. Quand s’est arrivé, je n’étais pas là. Il y avait une porte…
………..
LUCY
Elle a l’allure d’une poupée ; fine, un corps de rêve, de longs cheveux noirs bouclés, un visage souriant.
Elle suit des études d’art appliqué dans une école prestigieuse de Paris. Repérée par un mécène, elle a déjà à plusieurs reprises eu l’occasion d’exposer ses œuvres et reçu des critiques élogieuses. La foule se bouscule à ses vernissages ; on se presse pour l’embrasser et pour être pris en photo avec elle. Elle essaie le plus possible d’éviter les contacts physiques et se retire dès qu’elle peut. Elle est admirée et certains de ses amis l’envient car tout lui réussi, tout lui sourit ; la route de la réussite semble toute tracée !
Mais celui qui arrive vraiment à capter son regard est surpris. Ses magnifiques yeux verts expriment une grande solitude, une extrême tristesse, une immense douleur qui vous serre le cœur. Subitement vous vous rendez compte que ce visage radieux n’est qu’un masque.
De retour à son appartement Lucy laisse tomber ce masque. Plus de sourire, mais un grand voile de tristesse qui enveloppe son cœur et son corps. Elle se lave les mains encore et encore ; prend une douche interminable, se savonne, se frotte jusqu’à avoir mal. Elle avale un morceau, puis se fait vomir, se brosse les dents, la langue, se savonne la bouche. Elle se sent toujours sale, retourne sous une douche bouillante où les larmes se mêlent aux goûtes d’eau.
Des images de son enfance refont régulièrement surface et la hantent jusque dans ses rêves. Elle a pourtant essayé mais elle n’arrive pas à oublier. Elle a coupé tout lien avec son père, mais cela n’a rien changé ; ses tocs persistent, les cauchemars continuent.
Elle a du mal à pardonner à sa mère qui aurait du la protéger mais qui, par peur ne voulait rien voir. D’ailleurs, elles ne se fréquentent que rarement et après chaque rencontre ses crises sont d’une rare intensité.
Son frère et sa sœur ne la comprennent pas. Lucy les voit de temps à autre mais leurs liens sont distendus. Elle en souffre, a essayé de leur parler de ses cauchemars, mais finalement n’a pas osé. Ils sont proches de leur père et de toute façon à quoi bon, ils ne la croiraient point.
Atelier écriture Sic(k) 2 – l’excès, la nappe et le sonore
Border-line :
Perte du contrôle de son corps ; 3 nappes sonores du même évènement
Le fait
Les éléments avec des choses nouvelles
Et encore le même évènement avec des rajouts
*** ..Secousse….. Rescousse…au secours
Pleurs, cris, peur bleue
Lit d’enfant, draps blancs,
Pleurs incessants
Impuissance
Ignorance
Souffrance
Les mains à plat sur le matelas de chaque côté de l’enfant torturé
Secouent- secouent au rythme des pleurs
Arrête, arrête, crie la mère…
Qui arrête ? La peur, les pleurs…
***
A la naissance il est bleu,
Il semble recouvert d’une peau, d’une poche,
Comme le biquet de la chèvre du père Olaigne dans sa cabane en Ardèche.
Cet enfant n’est pas normal
Trop de sang, foie trop gros, problème respiratoire, hôpital
Le bébé est loin de sa mère, il est soigné, elle doit tirer son lait, où va son lait destiné à son bébé ?
L’angoisse, pas de nouvelles, mal, elle a mal, rien n’est normal, il ne sort pas de l’hôpital.
Pause cardiaque dit le pédiatre, l’arrêt n’est pas le bon terme
Arrêt, pause, massage, il repart…
De retour à la maison
La mère et l’enfant sont en apprentissage
Tous les bruits sont insupportables
La bouilloire, le café qui passe
Est-ce l’enfant qui appelle ?
Il pleure, le jour, la nuit, tout le jour et la nuit
Il bleuit à tirer sur le bout de sein comme il peut.
Le doute, mauvaise mère ton lait devient clair…
Ton lait ne lui suffit
Les mains à plat sur le matelas de chaque côté de l’enfant torturé
Secouent- secouent au rythme des pleurs
Arrête, arrête, crie la mère…
Qui arrête ? La peur, les pleurs…
***
Il doit arriver en décembre
Depuis juillet ils ont aménagé dans une nouvelle maison au milieu des bois,
pas loin de la nationale pour se rendre au travail.
La mère tapisse, prépare la chambre du petit, une jolie pièce mansardée
Il y a une grande sœur dans la famille qui dort dans la pièce d’à côté
Les parents ont leur chambre sur le même pallier par commodité.
On croyait même qu’elle attendait des jumeaux tellement son ventre était gros.
Au dernier examen, non il n’y en a qu’un mais il est costaud.
Elle savait que ça serait un garçon tellement il tapait dans son ventre comme dans un ballon.
C’était un samedi bien avant la date prévue juste pour savoir
Il est né, il est bleu,
Il semble recouvert d’une peau, d’une poche…….
La peur, les pleurs, l’angoisse,
L’impuissance, l’inconscience,
Les mains à plat sur le matelas de chaque côté de l’enfant torturé
Secouent- secouent au rythme des pleurs
Arrête, arrête, crie la mère…
Qui arrête ? La peur, les pleurs…
La colère, la folie, simplement pas compris
Où est la vérité ?
*****
Il est devenu homme
La peur, les pleurs, l’angoisse,
L’impuissance, l’inconscience
Les mains à plat sur le matelas de chaque côté de l’enfant torturé
Secouent- secouent au rythme des pleurs
En a-t- il hérité ?
*****
La mère doit parler
*****
Madeleine au St Germain 15 avril 2015
La proposition d’hier s’inspire de Platonov, vous vous en doutez. Cette pièce a été écrite par Tchekhov alors qu’il n’avait que 18 ans… c’est donc l’âge que vous devrez avoir dans votre tête en écrivant ! Mais si, ce n’est pas si loin !Il s’agit de décrire les agissements d’un Platonov d’aujourd’hui, c’est à dire d’un personnage, à qui vous donnerez un nom, qui sera sans réelle volonté, sans intention, mais attirera à lui tous ceux qui le croisent, hommes et femmes confondus. Ce jeune homme fascine son entourage alors que lui-même se dégoûte et s’autodétruit. Il s’agit de décrire les actions de ce personnage, ce “centre vide”, sans le juger, à la troisième personne. Vous pouvez enchaîner les événements sans forcément suivre l’ordre chronologique. Mathilde
Fascination, destruction
Jeune, élancé, yeux bleus perçants, blond, légèrement bouclé, Ernest déambule dans les rues ; Aujourd’hui il se sent séduisant, il joue avec le miroir des vitrines. Le reflet de sa silhouette le rassure et l’inquiète, il se veut irrésistible.
Il n’y peut rien il attire, il fascine, il est peintre, écrivain, musicien…
Il croque une femme à la table du bistrot. Écrit quelques lignes inspirées par l’inconnue……
Se met au Pleyel, ses longs doigts caressent les blanches et les noires dans une volupté embaumée. L’ambiance au café du théâtre est tamisée, enrubannée des ronds de fumée.
Il est mal dans sa peau, il se dit Artiste, il fume, il boit, il angoisse, il doute. L’artiste est fragile.
La nuit Ernest, peint, il crée, déchire, saccage, entasse les toiles, jamais satisfait.
Il crie au secours, tout le monde accourt. Ernest cherche l’Amour, la reconnaissance.
Ce personnage envoutant fait des ravages, il décroche le téléphone, parle pendant des heures pour captiver son auditeur, il dessine pendant la conversation, il n’est plus seul il rêve de l’autre au bout du fil, pas de corps à caresser, à posséder, mais la voix pour rêver. Le noir lui est familier.
Le lendemain il envoie son dessin à la voix éphémère avec une annotation « est ce que tu m’aimes ? » Il a créé un lien,
Ernest oubli, il vit dans l’instant. Il dort, reste dans le noir.
Un jeune, beau garçon aux yeux bleus perçants, cheveux légèrement bouclés dans les rues déambule sans trouver un sens à sa vie.
Ernest se laisse embarquer par la prostituée.
Sur le sable de la Loire, il va se réchauffer, il n’a pas de projet.
Ses peintures sont exposées, les fans vont l’encenser, il continue à boire et à fumer.
Il devient machine à produire
Jusqu’à quand ce délire ?
Madeleine au St Germain 27 mai
La chambre du fils
A partir de la rue, l’ascension débute par les degrés de pierre du perron, suivis d’un escalier à trois volées de marches, deux longues et une brève. Dans le silence du palier, j’allume la lampe à globe de verre dépoli. Après un quart de tour à gauche, je suis la perspective du tapis de couloir posé sur le parquet ciré, chemin de velours améthyste bordé de rubans d’églantines. Je passe la salle d’eau, le petit débarras et la chambre à coucher de mes parents. La mienne, c’était une chambre à remonter le temps, à ne pas faire un bruit, une bibliothèque, une scène, un musée, ma seule salle de jeu, le reste de la maison n’était pas négociable. C’était une chambre de plein jour, de semaine, de dimanche et de fin de vacances. C’était une ouverture sur l’infini des rêves, un terminal interplanétaire. Un refuge.
Vaste dans ma mémoire, elle mesure à peine cinq mètres sur trois. Je me souviens. Je sors des toilettes et je dois réussir à retrouver mon chemin dans la pénombre du couloir avant que le cerbère à cheveux jaunes du cagibi ne se réveille. Il est trop lent pour moi. Je sais que je vais le prendre de vitesse mais j’ai peur. Un revolver à billes en poche, je pousse brusquement la porte. Appuyé sur le montant, le pommeau de céramique froide dans le creux de mon dos, je presse mes deux mains sur mon cœur affolé. Je suis sauvé ! Je vérifie que le ressort a rempli sa fonction et que le pêne est engagé. Je n’ai pas besoin de loquet. Les monstres ignorent comment on tourne les poignées. Je réajuste l’élastique de mon pyjama rayé bleu.
Sur la pointe des pieds, je fais pivoter doucement le bouton de la fenêtre. Les tringles demi-rondes se rétractent sur de petits bourrelets de peinture, et libère le cadre de bois brun que j’ouvre à deux battants. L’espagnolette des volets métalliques grince. J’essaie de ne pas me pincer les doigts en les pliant contre le mur. Je referme bien vite. L’air frais est un tonique qui fait s’évaporer les vérités nocturnes. Si j’aime les matins, c’est pour les faire durer, et pour cette lumière douce. Je prends mon temps pour faire honneur au jour nouveau. Je m’assoie au coin du lit entrouvert et m’étire. Je frotte mes paupières à poings fermés pour en ôter le sable de la nuit. Il faudrait que je pense à graisser mes articulations. Mes vêtements sont méticuleusement pliés sur la chaise. J’attrape ma culotte à côtes de velours bleu marine. Une bille de verre tombe de ma poche gauche sur le parquet, et rebondit avec tapage, roule et se cache dans un coin. Le silence reformé clapote au rythme des ressorts de l’épais matelas. Décidément, la couture de ces chaussettes me gêne, et ce col me gratte. Le drame n’est pas loin. Je crois que je vais me recoucher. Comme ça quand maman viendra me chercher, sous la couverture, surprise ! Je serai prêt à descendre. Il faut que je me calme. A chaque changement de saison, c’est la même chose : les nuits semblent raccourcir. Je dois être allergique aux solstices. J’ouvre à peine les yeux. Une lueur matinale passe obliquement par la vitre et fait sur les rideaux de crêpe rafraîchis au printemps des vagues d’ombres plus profondes à mesure que le soleil s’élève, plus légères et mousseuses quand passent des nuages. Chaque jour à midi un rai prudent réussit à glisser sa lettre de lumière au droit du mur projetant en son centre l’ombre de la poignée sur la blondeur usée des lattes, comme l’aiguille d’un cadran. Puis le soleil passe par-dessus la maison. La résille de tergal s’épaissit et se grise. Je peux alors tel un fantôme scruter derrière le voile le jardin qui frissonne et s’éveille. Les oiseaux ont de brusques envols. Pour les suivre j’appuie ma joue et mon oreille dans la douceur veloutée du double rideau d’épaisse cotonnade à carreaux safran et olive pendu sur une tringle métallique, retenu par une torsade à gland effiloché que pensif j’ai souvent roulé entre mes doigts. Je peux entrevoir au levant le tube de rambarde du balconnet de la chambre de mes parents, dont la visite ne m’est autorisée que sur demande, et de l’autre côté le poteau EDF en ciment où les mésanges se réfugient par grand vent dans le creux des niches maçonnées où se prennent les feuilles mortes. J’ai un petit sachet de graines pour les séduire. Je peux interminablement rester ainsi, les yeux dans le vague, appuyé contre le bord latéral du cadre peint, enroulé dans le pan écossais comme un chasseur comanche enfilerait sa cape d’invisibilité pour pouvoir approcher un troupeau de bisons, comme une petit marquis fuyant la France révoltée, la tête ballottée par la route mauvaise, aperçoit le vol des nuages défiler lentement par la vitre de son cabriolet, comme un prisonnier attendant la sentence , ne sachant l’heure qu’à la course des ombres aux murs de son cachot. Mais le chant inédit des mésanges, arrosé de lumière, le cliquetis lancinant des verdiers et les subtils éclats de rire des premiers roitelets en robe d’apparat, tous ces cui-cui hallucinés, ces pulsations sonores, me rappellent parfois à la réalité. Une mouche s’est posée au carreau. Elle se lisse les ailes, s’ébroue, lève alternativement les pattes de derrière, et toute à sa toilette ignore la pulpe de l’index que je pose au carreau. La fenêtre de la chambre surplombe les arbres tout blanchis de fleurs aux étamines roses, en train de déplier leurs feuilles, nouvelle page du catalogue des saisons. Il fait bon. Du linge sèche sur le fil. J’ai le droit de me rouler sur la pelouse, mais il faut que je fasse attention à ne pas abîmer les fleurs, à ne pas ma salir. Si je suis sage, je pourrai peut-être aller voir le cirque Fratellini. Comme j’ai cassé un bol la semaine dernière et que j’avais caché les morceaux, il va falloir redoubler d’attention.
On a arrêté le chauffage. Un unique radiateur de fonte à la peinture un peu cloquée, autrefois beige, suffit amplement à maintenir la chaleur du nid. Son robinet de bakélite fait office de thermostat selon les caprices de l’hiver. Il porte en abréviation à chaque extrémité d’un vecteur incurvé coloré dans la masse l’indication du sens de serrage. Lorsque les frimas reviendront, mon père rallumera avec cérémonie la chaudière à fuel au sous-sol. Les flammes surgiront en soufflant derrière le carreau de mica, puis dans un grand craquement se propageant le long des tuyauteries, les ondes de chaleur monteront aux soldats de fonte des étages avec des gargouillis. Mon père les passera en revue les uns après les autres, purgeant au besoin ces antiques carapaces pleines d’eau noire de rouille. Ces eaux chaudes échappées des volcans reprendront leur ronde patiente et protectrice dans l’épaisseur secrète des cloisons, de jour comme de nuit, faisant craquer souvent les os de la carcasse.
Le soir, la lumière de la pièce descend d’un plafonnier plat et ovale, pareil à une palette de peintre du dimanche. Gravé dans l’épaisseur du verre martelé, des étoiles émeraude diffractent la clarté trop vive d’une ampoule à culot vissée sur une tige de laiton, attendant sa jumelle. Le cache domino mal ajusté laisse apparaître deux fils rayés. L’interrupteur ivoire fait le bruit d’une tapette à souris miniature. Une autre source de lumière se dissimule dans l’épaisseur du bois de lit. Une barrette de néon de quinze centimètres avec un réflecteur d’aluminium martelé. J’en ai rarement l’usage. Lorsque je suis couché, c’est ma mère qui vient éteindre la lumière du plafond et refermer la porte, après m’avoir bordé d’un geste machinal, pour un baiser distrait. Bonne nuit, mon ange. Les nuits de cauchemars, ou si je suis malade, elle laisse la porte entrebâillée sur la veilleuse du couloir éteinte dès que je suis enfin endormi. Présence de ma mère qui au travers du mur, portée par le silence d’un air raréfié veillait à ma survie au mépris de son propre sommeil. Elle se levait souvent la nuit.
Le bois de lit était à la tante Louise quand elle était petite et jolie. Pour son enterrement, il y eut le soir à la maison un long conciliabule. On servit de la limonade dans les beaux verres et du café dans de petites tasses. Le conseil de famille décida de garder la maison en Auvergne pour qu’à tour de rôle chacun puisse aller s’y ennuyer à la belle saison. La vengeance de tante Louise pour la jalousie de ses sœurs qui n’avaient jamais pardonné que la petite préférée hérite de la ferme ruisselait sur mon innocente jeunesse. Tous les deux ans, j’étais donc condamné au mal de la montagne, à l’inconfort de la banquette arrière de la DS sur les routes tortueuses, aux odeurs écœurantes des fromages, aux promenades interminable et aux nuits froides. Lors du dernier retour, j’ai quand même eu droit à un arrêt pour aller vomir et faire pipi. Nous avions rapporté le bois de lit attaché sur la galerie avec des sangles à crémaillères. Il se compose de deux parties enchâssées. La tête est galbée. Un rouleau sombre finit élégamment le haut de l’appui-tête, comme soutenu en ses extrémités par des corbeilles d’abondance d’où s’échappent des grappes et des fleurs gravées dans l’épaisseur de cet ourlet de chêne. Sur sa longueur, le matelas est séparé du mur par un meuble assorti, doté de deux petits placards aux portes pareillement ouvragées, que l’on saisit par une encoche afin de les faire coulisser. Il contiennent mes trésors essentiels : un écureuil en plastique serrant une noisette, gagné au concours de la banque, mes soldats des paquets de café Mokarex, héros de batailles homériques menées tambour battant a même le tapis à motifs de cachemires injustement battus à chaque fin de semaine, des billes et des calots dans un sac en tissu fermé par un galon, des personnages de la crèche, un petit col de dentelle pour mon ours, pour grandes occasions, une voiture jaune et rouge en mécano que j’avais terminée avec l’aide de mon père. Je savais faire tous les bruitages. Et surtout un stéréoscope vert pistache avec ses bandes cartonnées que je me repassais sans jamais me lasser. La belle au bois dormant, Donald pompier, des contes de Perrault. J’étais un enfant comblé avec peu d’accessoires. Je ne coûtais pas cher. J’étais champion de recyclage, tenant cela de ma mère, fabriquant des merveilles avec des riens du tout. Maman disait que les marchands de jouets sont des voleurs et qu’il faut savoir s’amuser avec ce que l’on trouve, et s’ennuyer aussi. Le bois de lit finit en tablette par un marbre où j’expose mes réalisations : des dessins à la craie sur de jolis cailloux, un polichinelle articulé fait avec des bouchons et des morceaux de pinces à linge, des plumes de couleur collée sur un œuf de plâtre rapporté de l’école, un bestiaire tranquille de glands séchés et d’allumettes.
Pour un enfant, la chambre est bien plus que son lit. L’autre meuble important est mon bureau d’écolier. Tout simple, en bois blanc teinté acajou sombre. À droite trois tiroirs à glissière et dans l’épaisseur du plateau une planchette coulissante, comme sous le marbre du boucher, dont je n’ai jamais compris l’usage. Un large tiroir central pour ranger pêle-mêle crayons, règles, équerres, compas, ciseaux et tout un attirail hétéroclite d’ustensiles sans usage attendant le rebut de fin d’année. Une chaise paillée équipée de tampons de feutre m’attend chaque soir, car je suis un élève appliqué. Les livres sont classés par domaine dans les tiroirs marqués chacun d’une étiquette à coin coupé sur lesquelles j’écris à la plume avec une encre mauve. La barre appui-pieds est usée par la gomme de mes pantoufles. Plus je réfléchis, et plus je piétine cette pauvre traverse, ne mettant pied-à-terre qu’une fois seulement la solution trouvée. Accrochée au rebord droit du plateau, une lampe articulée en trois segments. Le demi-globe en tôle grise dissimule une ampoule de quarante watts. Sa douce chaleur a couvé bravement la lente éclosion d’un être qui, pour sérieux et soigné qu’il fut, était surtout un grand rêveur pressé de s’échapper au travers des fenêtres des livres. Je me fais du souci.
Quand je rentre de l’école, Maman pleure souvent. Hier, je me suis approché pour la prendre dans mes bras, mais elle m’a repoussé en pleurant encore plus. Elle m’a dit d’aller ranger ma chambre, qu’elle n’admettait pas le désordre. Je me suis excusé. Ma chambre est toujours tout à fait rangée, mais je me suis excusé quand même. Je vérifie continuellement que mes chaussettes sont bien réunies par couleur, comme mes culottes, pliées en trois. Je suis très soigneux. Je fais le ménage tout seul. Comme j’ai un peu d’asthme, le docteur a recommandé de traquer la poussière. L’aspirateur est un peu lourd pour moi, mais j’y arrive. Ma chambre est la pièce la plus propre de toute la maison. Ce que je préfère, c’est passer de la cire d’abeille à la térébenthine, et après le crissement du bois luisant quand on glisse un doigt dessus. Face à moi, j’ai punaisé au mur la carte postale qu’elle m’avait écrite quand les pompiers l’avaient emmenée dans leur camion pour qu’elle se repose. Ça avait duré longtemps, et je ne suis pas sûr qu’elle ait si bien dormi que ça à la caserne, la nuit, avec les sirènes. Elle me fait peur, des fois. Elle monte, elle regarde mes devoirs dans mon cahier de texte, me fait réciter mes leçons en regardant ailleurs. Quand elle m’attrape par le bras, qu’elle se fâche sans raison, je n’ai plus très envie de travailler. Au-dessus du bureau, j’ai aussi punaisé des cartes du monde et des posters soigneusement dégrafées de mes revues. Spirou et Fantasio, le marsupilami, la face cachée de la lune, les animaux du parc de Niokolokoba. Le papier peint au motif tourmenté sert de toile de fond à mes lointaines aventures.
Ce bureau tient tout juste dans le creux d’une arche de placards et de penderies, où ma mère enferme des piles de vêtements qu’elle ne porte jamais, soigneusement repassés, mêlant à mes affaires des couvertures d’hiver, un classeur caché là pour raison familiale, des tiges de fleurs en tissu, des draps usés et des pelotes colorées d’un pull jacquard qui restera à l’état de projet. Pour une part ma chambre est un débarras. L’armoire me tient lieu de grenier. J’y joue à cache-cache avec les fantômes. Je me dissimule entre les housses des manteaux suspendus dans l’odeur synthétique des pressings. Des fois, Maman est en colère. Elle dit que je suis méchant. Alors elle m’y enferme et part avec la clé pour l’une de ses promenades secrètes. Un peu d’air passe par la serrure, mais j’ai du mal à bien respirer. Il lui arrive de revenir trempée par les averses, ses cheveux collés à la figure. Quelquefois avec des brassées de fleurs arrachées qu’elle met à la poubelle, ses vêtements tâchés de terre et ses ongles abîmes ou avec des pierres plein les poches. Elle me sort de l’armoire en riant, comme si elle m’avait joué un mauvais tour, et me fait un goûter dans la cuisine. Elle me regarde en se mordant la lèvre inférieure. Ses yeux sont pâles et cernés. Et papa ne dit jamais rien. Il m’explique qu’elle est fragile. Cette chambre est mon seul lieu de repli. Que ce soit chez tante Louise où l’on me couchait à l’étage, chez mon autre tante épicière où mon lit était préparé parmi les boîtes de conserves, dans les autres maisons de vacances, jamais je n’ai eu ce sentiment d’être dans mon royaume comme ici. Peut-être seulement parce qu’à étage du dessous, j’entends chaque matin le feulement du gaz, le bruit des cuillères et des bols. Les pas dans l’escalier annoncent l’arrivée matinale de l’unique amour de ma vie qui vient me réveiller pour aller à l’église à la messe du matin où elle me traîne comme un somnambule. Les hosties me rappellent le goût des cachets d’aspirine.
Dans cette chambre du passé, de ma prime jeunesse, je me souviens de ces heures passées allongé sur le lit la tête dans le bras, gardant dans l’ombre au creux du coude un œil ouvert, à observer je ne sais quoi, le pli des draps, le grain du couvre lit, les phosphènes fuyant sous mes paupières agitées, essayant comme un grand de trouver le temps long jusqu’au baiser du soir, récitant dans ma tête des débuts de poèmes et des morceaux de fable, passant un doigt d’une main sale sur une croûte du genou, sentant le flot de mon cœur, à écouter le grincement des chaînes d’une balançoire que le vent pousse, la rengaine réglée de l’arrosage automatique. A l’affût du moindre parfum, pâte de fruits, eau de Cologne, œufs sur le plat, naphtaline des linges enchâssés. Un chien aboie. Et si quelqu’un ouvre la porte, je continue à faire l’endormi, heureux de savoir ces pensées tournantes autour de moi. Avec le traversin et l’oreiller, je me fais une hutte de draps frais. Maman n’était pas contente quand je froissais les draps qui nous coûtaient tant à faire repasser.
Un soir alors que je revenais de l’école, elle est partie. Les feux arrière de la voiture ont disparu en trombe dans le brouillard avec quelques valises. Je tenais mon ours à collerette dans mes doigts raidis par le froid, en maillot sur le perron. Papa avait honte parce que les voisins n’avaient rien perdu de la scène derrière leurs rideaux. Il a refermé la porte. Il ne disait rien. Il a passé l’aspirateur partout pendant des heures. Je suis resté longtemps dans l’escalier, mon ours serré entre mes genoux. Je crois bien qu’il ne me voyait pas. J’avais faim. J’ai pris mon cartable dans l’entrée, je suis monté dans la chambre. J’ai sorti de la penderie les petites ailes blanches en carton et en ouate avec un élastique du spectacle de fin d’année. J’ai approché la chaise de la fenêtre, je l’ai ouverte. Je suis monté sur le rebord. J’ai pris tout l’air que je pouvais dans mes poumons. J’ai fermé les yeux. Et je me suis envolé. Heureusement, au droit de la fenêtre une haie de vieux buis longe une allée de graviers. J’ai été quitte pour une fêlure du scaphoïde et quelques contusions. Les voisins ont sonné pendant longtemps avant que mon père ne vienne ouvrir. Je boitais. Après je me suis évanoui.
Mon père s’est muré dans le silence. Il était fatigué. Quand il a recommencé à parler, il pouvait quitter la conversation au milieu d’une phrases. Il avait du mal à retrouver ses mots. Il n’allait plus travailler. C’est la maîtresse qui a appelé les services sociaux. Il m’arrivait souvent de rentrer dans le bus scolaire avec les dames de service parce qu’il ne venait pas me chercher. Ils ont décidé que j’irai habiter quelques temps chez ma tante Marthe, à l’épicerie, où il me rendrait visite. Plus personne n’avait de nouvelles de Maman. A cause de nous, elle est peut-être est morte de chagrin. Je suis rentré à la maison l’année suivante, quand ils m’ont inscrit au lycée. L’aide de l’état pour l’aide-ménagère a été supprimée. Je suis devenu l’homme de la maison. Il n’a pas su se débrouiller sans moi. Il est vieux maintenant.
Le désordre est indescriptible, mais si peu de choses ont changé. Il faut que j’imprime ces images dans ma mémoire. La chambre donne toujours sur le jardin en friche, la chute des brindilles, les fils rouillés où tu mettais sécher le linge. C’est un nid de moineau. C’est un berceau de l’aube contenant tout entier mon songe de jeunesse. Un lieu de solitude et de serments. Pour l’heure une ampoule poussive révèle dans le cadre de la nuit imminente la figure de mariée qui a franchi si souvent ce seuil. Tu me veillais. Comme une flamme bleue, j’étais à ta merci. Je rêvais que tu posais ta main creuse sur mon front endormi. Le doux objet de ta clémence est assoupi sur le lit encombré en serrant dans ses bras un livre colorié de lueurs matinales récupéré tout couvert de poussière derrière la tête de lit. Les ombres des nuages caressent imperceptiblement mes paupières agitées dans la douce lumière d’une flaque de fin de jour. Les lueurs solennelles glissent dans le silence plein des heures vieillissantes. Comme un pinceau sur la cendre. Avec la lenteur des troupeaux traversant les étangs. La maison de l’enfance à des rideaux de pluie et les volets fermés. Une pancarte de carton bat la façade. À vendre.
La chambre haute
-Monsieur Jean-Jacques ! À table ! Venez manger !
-Marbella, baissez d’un ton. Je vous ai dit que je ne voulais pas vous entendre hurler dans l’escalier à tue-tête. Les locataires ont tout de même droit à leur tranquillité.
-Môsieur Julius Lambert, à mon âge, avec mes jambes pleines de varices et mes chevilles gonflées, il n’est pas question de monter tous les soirs deux étages pour aller chercher ce jeune homme, qui n’a d’ailleurs qu’à regarder sa montre.
Du haut de mon perchoir j’écoutais les conversations dans ce petit immeuble étroit de la rue des huiles, où j’avais trouvé dès le mois de juin une petite mansarde au cinquième étage, qui rentrait dans le budget modeste de mes pauvres parents et les conditions d’attribution des bourses universitaires. Lambert était le propriétaire. Le vieillard maussade et alerte toujours assis sur son palier au premier étage, le cul sur le bord de la chaise, ne parlait à personne sauf pour sermonner, considérant tout visiteur comme un intrus envahissant son territoire. Je devais tous les soirs me soumettre à son air suspicieux pour accéder à ma chambrette, et prenait un malin plaisir à le saluer gaiement avec un mot gentil. La porte de son appartement était ouverte en permanence. Il faisait partager à la cantonade sa télé allumée, le raffut des casseroles, ses monologues assassins, et les odeurs de sa cuisine de pingre solitaire, ce qui lui avait valu son surnom de « chou farci ». Marbella était une vigoureuse ouvrière espagnole à la retraite. Le fichu tiré à quatre épingles, elle avait fait carrière dans les filatures du quartier Rappeneau, à vérifier les bas et les collants avant emballage. Elle gardait un œil vif et louait ses services dans l’immeuble et aux alentours pour des heures de ménage. Pas un grain de poussière ne devait échapper à sa vigilance. Pour finir d’arrondir ses fins de semaine, elle organisait au troisième, dans sa salle à manger, une cantine pour ceux qui comme moi n’avaient ni de don, ni d’équipement minimal pour faire leur repas. Une assemblée de locataires joyeux et désargentés se retrouvait coude à coude sur la toile cirée et les bancs sous l’œil noir de l’espagnole qui servait plutôt deux fois qu’une. À la fin du repas nous lavions la vaisselle et refaisions le monde en fumant gitanes et anglaises. Des effluves de poivron, de tomate, et de ragoût poivré amplement mijoté imprégnaient les rideaux et montait, happé par l’appel d’air du petit vasistas entrouvert été comme hiver, qui apportait une lueur pauvre dans le colimaçon à rampe de fonte noire. Des lampes à gaz reconverties aux filaments alternatifs projetaient sur les murs des étages les ombres des dentelles métalliques des gardes corps. Plus on s’élevait, plus les marches étaient étroites et hautes. Les derniers mètres menant à ma chambrette étaient si escarpés que les gravir bras chargés en rentrant de mes courses, ou à chaque début de semaine avec mes affaires de rechange dans des sacs et des filets, tenait de l’exploit sportif. Je me suis vu plus d’une fois partir à la renverse et me rattraper de justesse avant de dévaler en sens inverse mon Annapurna domestique.
Sur la porte, j’avais punaisé une carte de visite : « Jean-Jacques Dubuisson étudiant en tout et pour tout – vous remercie pour cet effort ». J’avais, le bac en poche, trouvé avec l’aide de mes parents ce point de chute. J’étais inscrit à la faculté des sciences. J’adorais les mathématiques. C’était un compromis. J’aurais aussi bien pu faire des lettres modernes, du grec que je vénérais, ou me destiner aux langues étrangères. Tout m’intéressait et me souriait. Mes parents rêvaient de me voir devenir pharmacien.
Par la fenêtre de ma mansarde, on apercevait le drugstore en contrebas où travaillait Julie. On peut considérer qu’à cette époque Julie était ma petite amie, mais cela restait entre nous. C’était une fille à mobylette qui acceptait sans discuter de me laisser le guidon et de s’asseoir en travers du porte-bagages avec sa jupe courte et son chemisier serré. Le lit n’était pas large, pour deux. Alors elle passait rarement la nuit sous mon toit. La chambre mesurait à peu près trois mètres sur quatre. Un lavabo en coin au fond et à gauche, au pied de mon lit à sommier métallique, avait perdu sa bonde et des éclats d’émail. À droite, un plateau de bois blanc posé sur deux tréteaux de fer semblait tenir en équilibre sur des piles de classeurs, de cahiers, et de livres. Sur ce bureau, une lampe à abat-jour cylindrique monté sur tige souple avec interrupteur en olive et fil électrique torsadé, que j’avais trouvée près des poubelles dans l’arrière-cour, veillait sur mon capharnaüm. À côté du bureau, une petite armoire penderie masquait des auréoles noires qui partaient du plafond, et portait un miroir en pied. Je passais la plupart de mon temps entre ces accessoires, allongé sur la moquette rouge vinasse collée sur le parquet, la tête dans les mains, à plat ventre, à feuilleter mes chers bouquins, la lampe tirée au bout de sa rallonge. Le parquet ondulait sous le souffle des ans. Les toilettes étaient sur le palier. Je partageais l’étage avec cinq autres locataires, séparés par des cloisons si légères que même pour signifier notre exaspération pour les ronflements intensifs que nous poussions à tour de rôle, nous n’osions pas frapper sur le mur de peur de le voir s’effondrer. Le silence nous était inconnu. Pour ne pas entrer dans les intimités voisines, il fallait faire la sourde oreille. La chaleur en été était insupportable, et l’hiver, je ne me couchais jamais avec moins de quatre épaisseurs de couvertures en laine. Dans ce refuge montagnard, la moindre averse tambourinant sur les ardoises prenait des airs de tempête tropicale. J’étais comme dans une caravane, en camping à l’étage.
Je réglais mon loyer à la semaine. Lambert avait été échaudé par quelques indélicats abandonnant leurs études sans sommations. L’incertitude n’arrangeait guère son naturel soupçonneux.
Rien n’était entretenu. Nous étions selon lui des bohèmes studieux sans souci des détails. Il n’avait pas d’enfant.
UNE REPRESENTATION
La chambre est sans fenêtre. C’est une alcôve.
La largeur d’un lit et de l’étroit passage qui le sépare du mur. La ruelle. On s’y cache. On s’y fait disparaître sous le volant du dessus-de lit de cretonne fleurie. On s’y terre. On y est oubliée. On y pleure. On y rit.
Au pied du lit un buffet de bois blanc. Un petit verrou doré le maintient fermé. Tel un coffre-fort il est inviolable. Dedans, soigneusement rangés, la boîte à ouvrage, la boîte à boutons, la couverture et le fer pour le repassage, des tissus, « le Petit Echo de la Mode », les aiguilles à tricoter, les pelotons de laine dépareillés. C’est le domaine de l’habillage. Du corps. Le corps qui prend naissance quand ma mère coud pour lui, une blouse une robe une chemise de nuit, on le touche, on le bouge, on y pose des mots puis il se tait encore dans un oubli sinistre.
A côté du buffet encastrée, attendant ses jours de sortie, la Machine à Coudre ! C’est un objet précieux. Un trésor intime. La richesse de ma mère. Nul autre qu’elle n’a le droit d’y toucher, d’en approcher, même.
La canette, la fusette, la burette d’huile au long col. Le fil au circuit mystérieux et savant. Ma mère qui pédale concentrée sur la marche du tissu qui prend forme, la danse verticale de l’aiguille, les essayages où le corps est tourné, retourné, manipulé, paré de neuf. La Machine ! Ma Mère !
Quand elle est près de moi mais que je m’ennuie d’elle, je me glisse dans le noir de l’alcôve et je vais me nicher petite ombre oubliée sur la pédale de la machine à coudre.
Et j’attends dans mon refuge secret sur la fonte froide respirant l’odeur huilée des rouages mystérieux. Maman !
Parfois je me risque dans l’alcôve pour escalader le pied du lit métallique aux décorations de cuivre rutilant. Je grimpe et je bascule silencieuse dans l’édredon de plumes.
C’est un large lit où je dors avec ma soeur appuyée l’une à l’autre, « dos à dos ». Il y a une évidence à dormir ainsi. L’abandon serein des chatons dans le panier où leur mère les nourrit. Une osmose sans crainte.
L’alcôve est fermée la nuit par un épais rideau vert sombre. Le soir, les anneaux métalliques glissent sur la tringle de fer. C’est la clôture. La séparation. D’un côté les enfants de l’autre les parents. Endormissement dans le nid clos.
C’est dans ce creux qu’une nuit, la lumière a jailli.
Mon oncle est penché sur moi. Je le vois dans son uniforme beige de l’armée, sa chevelure ondulée et brillante, sa moustache épaisse. Il sourit.
Il passe sa main sous le drap en riant et…
Et quoi ?
Rideau !
Les anneaux métalliques glissent sur la tringle de fer.
Des heurts d’adultes. Son départ.
Les mots de ma mère. Des mots sourds. Des mots de colère. Des mots que je ne comprends pas. Des mots qui ont inscrit en moi « l’homme est un danger ».
Rideau !
Qui d’autre que moi s’est souvenu de cette scène ?
Elle m’a longtemps constituée, déterminée. Dans un silence brumeux elle n’avait pas de mots seulement une empreinte sur mon corps.
Puis les mots sont venus ils ont dénoué les peurs, ils ont écrit l’histoire de cette nuit-là. De ce qui s’est passé dans le creux de l’alcôve et de l’autre côté du grand rideau vert sombre.
Une scène. Une pièce. Ses acteurs. Ses interprétations.
L’imaginaire en marche !
Représentations.
NELLY
Le sujet : un lieu, une chambre d’enfance que l’on a vraiment connue. Il s’agit d’inventorier et d’explorer les différentes manières de la décrire, en évoquant les cachettes, les sons, les saisons, en transcrivant les moindres détails. Les mondes qu’on a pu créer dans cette chambre….
****
La chambre, quelle chambre de l’enfance ? Quand on est toujours en partance!
La plus douce, la plus sombre, l’anonyme
Pas si anonyme que ça, celle-là est à tout le monde, avec un nom particulier « le dortoir », ce n’est pas ma première chambre …mais c’est celle qui m’a donné un statut de pensionnaire.
La pièce est grande et claire. A l’angle, une cage de toile blanche pour la surveillante.
En face une porte de bois foncé qui nous sépare du palier où arrive l’escalier en bois qui mène au rez -de chaussée.
Une autre porte à l’opposé dessert les lavabos, cuve de faïence blanche, tout le long du mur entre la porte et la fenêtre, surmontée d’un tuyau où sont bien alignés les robinets, eau froide, eau chaude quand même !
Mon lit est identique à tous les autres, pas très large, un polochon, un dessus de lit en coton blanc. Au moins 5 rangées de 6 ou 8 lits métalliques.
Une veilleuse brule toute la nuit, une lueur blafarde, pas question de faire pipi au lit, prendre la porte des lavabos, puis la porte des cabinets.
La bonne sœur dans sa cage de draps blancs se déshabille, des ombres chinoises se dessinent…le loup et la mère grand sans aucun doute…
Cette chambre aux lits multiples n’abrite que des filles « Pensionnat de jeunes filles Sainte Marie »
je ne me souviens plus du crucifix, du brin de buis, mais des deux grandes fenêtres à petits carreaux qui donnent sur la cour des tilleuls. Cour des réjouissances : fête de l’école, les bons points sont échangeables contre des meringues, mais surtout, celle des concerts en plein air, violon, piano. Sœur Marie Cécilia est le professeur de musique, elle me donne des bons points .Elle m’aime bien.
En face deux autres fenêtres identiques donnent sur la cour d’entrée. On y voit la gare, la colline avec le sentier des tours, où nous allons en promenade après le repas du midi.
Entre deux lits une petite table de nuit, une descente de lit pour se mettre à genoux.
Le rituel du coucher n’est pas ordinaire, se mettre à genoux pour se déshabiller, passer la chemise de nuit par son encolure comme une cape, ôter ses vêtements sans être vue du voisinage. L’œil risqué est condamné.
Allons pressons, extension des feux.
Me voici dans ce lit qui m’est destiné, pourquoi celui-ci ?
La surveillante passe dans les allées.
Je dors bien, je suis entourée, dans la cage blanche la lampe va s’éteindre.
***
La chambre douce est tout autre, elle est pour les vacances, je l’emprunte à Victorine que l’on dit ma grand- mère, elle est couturière, c’est son atelier.
La machine à coudre est au repos, le mannequin de toile me regarde, les bobines de fils et les tissus sont prêts à être utilisés.
La chambre est tout à côté de la porte d’entrée, j’ai peur.
Le lit est douillet, il est grand, deux personnes peuvent dormir dedans .Sa beauté particulière, il a des boules de cuivre à chaque extrémité de la tête et du pied de lit en fer forgé blanc, je suis au pays des fées.
Face au lit; la fenêtre avec ses volets à clair voie m’isole de la route de Roanne,
J’ai peur quand même, doucement je me lève pour vérifier si le verrou de la porte d’entrée est bien fermé.
Une nuit de vacances de Noël, je me suis levée, j’entendais mon grand père et ma grand-mère discuter avec leurs invités.
Va te coucher me disent-ils, non c’est Noël je récite mon compliment.
Je suis déçue pas d’arbre de Noël, pas de crèche, sur une chaise du salon m’attend une boîte à couture en acajou fabriquée par l’usine où mon grand- père travaille, il s’occupe des machines à vapeur.
Tu es grande, tu ne crois plus au père Noël… voilà ton cadeau.
Quand je suis retournée au pensionnat, je ne croyais plus, mais ne dis rien…
J’ai de bons souvenirs de cette grand-mère et de ce grand père qui s’appelait Louis et qui se faisait appeler Charles. Il avait des chemises bleues en popeline brodées avec ses initiales. Victorine avait une forte poitrine elle portait avec élégance une modestie pour cacher la naissance de ses seins.
Madeleine au St Germain le 20 mai, modifié le 27 mai
Le sujet : se glisser dans la peau d’un auteur se préparant à écrire un roman d’amour, le récit d’une liaison amoureuse, il s’agit d’un auteur cruel. Le postulat de départ est donc tous les êtres humains sont cruels.
La forme d’écriture sans doute familière à certains puisqu’il s’agit de rédiger 99 notes préparatoires à l’élaboration de ce cruel roman.
Mettez en mots votre rumination intérieure, avec la forme que vous souhaitez (phrases ou pas)
Ici préparatoire rime avec laboratoire…ces notes « peuvent préparer à quelque chose qui n’est pas, ne sera pas, n’a jamais été »
Il s’agit en résumé de balayer le champ de l’histoire d’amour par ces notes comme le dit François Bon, « rester en amont du projet du livre, décrire le livre mais résister à s’y jeter »
« Le chant d’une histoire d’amour »
– Les notes, toujours la même mélodie, je t’aime, j’ t’aime plus…
– Répétition des essais…..
– Attente …attente …de l’homme….
– Odeur d’un corps en espérance.
– Le toucher.
– Écoute de son gémissement.
– Le désir et son soupir.
– Puis le laisser pour compte.
– Accrochée à celui-là.
– Ne plus dormir et avoir sommeil.
– Fatiguée de vouloir aimer.
– Lasse d’être perturbée
– N’être qu’un objet, sa chose, parmi tant d’autres
– Le corps s’abandonne
– Les sentiments, la jalousie,-la possession, les addictions,-la dépendance,
– Plaire, quoi faire pour lui plaire ? Être la favorite.
– Les artifices, les semblants.
-Humour, remède à la fin d’un amour.
-Explication, décision, finition.
-Nouveau départ
-Nouveau terme à l’histoire
.
– Il n‘y a pas d’histoire
– Espoir de ne plus attendre, une fin intelligente.
Madeleine au St Germain le 27 mai
En retard… il est en retard…toujours en retard…de plus en plus en retard. Il joue avec mes nerfs, met ma patience à rude épreuve ! C’est pourtant lui qui avait repris le contact après trois mois de silence. Il avait insisté : « j’ai besoin de toi », et pour la troisième fois en dix-huit mois j’ai cédé.
Il est en retard… Je m’étais juré cette fois-ci de ne plus succomber à ses textos doux. « Tu me manque » m’a-t-il dit, « j’ai besoin de toi ».
Relation à distance… je croyais pouvoir m’en accommoder. Mais nos rendez-vous sont finalement trop espacés, trop distancés à mon goût. Je ne décide rien dans cette relation ; c’est toujours lui qui fixe nos rendez-vous. C’est toujours lui qui se déplace.
Il est en retard… Il m’a dit hier soir : « j’arriverai à l’heure du laitier ». Pas plus de précision. Pour moi le laitier vient de bonne heure, 6h-7h du matin. Le connaissant, ce sera trop tôt pour lui. Allez, 8h c’est une bonne heure ! J’ai préparé une belle table pour un petit déjeuner en tête à tête. J’ai oublié toutes mes bonnes résolutions et mon cœur bat la chamade en pensant au moment tant attendu de nos retrouvailles !
Il est en retard… il a du se perdre à cause des travaux. 9h…j’ai trop envie d’un café. Je m’en prépare une tasse. La première fois qu’il était venu il avait une demie heure de retard. Il m’avait prévenu et s’en était excusé. Je sais que nos conceptions de l’heure sont aux antipodes. Pour moi un quart d’heure de retard c’est acceptable, pour lui une heure c’est normal ! Il dit que je suis trop stricte, mon éducation allemande. Je soupçonne qu’aux Antilles les pendules ne fonctionnent pas pareils qu’ici ; peut-être que là-bas une heure compte 120 minutes ???
Il est en retard…très en retard…10h, pas de texto, pas de coup de fil, RIEN ! J’ai fini par prendre mon petit déjeuner. Je suis en rage ; puis ma rage se transforme en angoisse – et s’il ne venait plus !!! Pour la énième fois je scrute l’écran de mon portable, au cas où je ne l’aurais pas entendu alors qu’il m’est impossible de ne pas l’entendre ; j’y suis scotchée !
L’heure du laitier…peut-être que le laitier fait grève aujourd’hui, ou sa voiture est tombée en panne, ou les vaches n’ont pas donné de lait. Je piétine d’impatience, je meure d’envie d’envoyer un texto – non, non, non, je ne vais pas lui donner ce plaisir, surtout pas lui montrer que j’ai hâte de le revoir !
Il est en retard… tellement en retard ! Et moi de plus en plus angoissée ! Lorsqu’il arrivera, je l’accueillerai froidement, lui ferai part de ma colère ; il se prend pour qui ?…aucun respect pour moi… c’est intolérable !
Ca sonne… mon cœur ne fait qu’un bond…….. et si ce n’était pas lui ?!? Une boule dans la gorge… le cœur serré……..
LA SAISON 2015-2016
JOUER
Foin des projets ! Foin des programmes ! Cette année sera l’année de la découverte de l’imprévu. Pas d’abonnement ! Pas de stress de choix ! Pas de course à la place ! Fini !
Telle une princesse descendant les marches d’un palais, » l’ai-je bien descendu ? », vous découvrirez ce qui se montre avec affront, avec audace, avec défit. Vous serez tel à un Adonis effronté portés vers ce qui s’ose. Vous serez secoués, provoqués. Les acteurs comme le géant qui engloutit le monde vous dévorerons de leurs désirs. Vous serez trimballés de la ville flamboyante au plus sombre profondeurs des bois.
Après chaque voyage au tréfond de votre imaginaire, le retour sera choc et tremblement : où suis-je ? qui suis-je ?
Fini de se prendre au sérieux. Finies les belles grandes phrases intelligentes débitées au pied des marches du théâtre après la représentation. Tel un Auguste vous deviendrai clown, pantin de vous-même.
Chacun se retrouvera nu. Inutiles les beaux gestes des hommes. Inutiles le parfum et les parures des femmes. Inutiles tous les beaus atours. Et, cerise sur le plateau, en signe d’humilité, chacun laissera ses chaussures sur les marches avant de pénêtrer dans la salle. Et, si un spectateur hostile se prend à hurler à la provocation, à la bouffonnade, je serai là pour le repousser moi-même par un tonitruant va de retro intello !
Ne croyez pas que je vous ai tout dit car il y a encore dans l’armoire au bestiaire de nos rêves quelques grenades à dégoupiller…
Le propos n’est pas de faire du nouveau pour séduire les jeunes et laminer les vieux . Ce que nous voulons, c’est maintenir en éveil votre esprit somnolent.
Meunier tu dors… Et le moulin s’emballe. Le moulin de l’oubli. Ça roupille ! Réveillons-nous !
Que chaque minute où vous serez assis dans l’un des fauteuils rouges de cette salle soit un réveil !